Scènes

MIMI 2010 : Oreilles sensibles s’abstenir

Le festival MIMI s’est ouvert le 7 juillet 2010 avec une nuit mariant rock et musique improvisée, sous l’égide de l’AMI, au large de Marseille.


Le festival MIMI s’est ouvert mercredi 7 juillet 2010 sur une nuit mariant rock et musique improvisée, sous l’égide de l’AMI, centre de développement pour les musiques actuelles, au large de Marseille. En partenariat avec le festival « Jazz Nomades – La Voix est Libre », l’île du Frioul accueillait un quartet explosif et un des pionniers du krautrock, le tout dans un cadre idyllique.

C’est une véritable expédition que le festival MIMI : Depuis le Vieux Port de Marseille, monter en bateau, de préférence à l’avant, attendre qu’il soit plein, admirer le château d’If, accoster sur l’île du Frioul, marcher une demi-heure au bord de la mer, s’interroger sur la nature des diverses « performances » qui jalonnent le chemin, et atteindre enfin l’ancien hôpital Caroline, situé sur une hauteur ; puis déambuler entre les stands associatifs - écologie, commerce équitable, productions régionales (le label Emouvance, les éditions Le Mot et le reste…), s’asseoir, souffler et regarder tandis que le soir tombe sur des ruines gréco-romaines, et que l’air se rafraîchit. D’antiques jeux vidéo sont disséminés sur tout le site par le collectif Geeksterz et parfois projetés sur grand écran ; dans un coin, Radio Grenouille (88.8), commente le tout pour les auditeurs locaux. Le concert était annoncé à huit heures, il est neuf heures et demie.

C’est la voix du directeur, Ferdinand Richard, qui rassemble les troupes. Pour cette 25e édition, le festival a noué un partenariat avec Jazz Nomades – La Voix est Libre : la première partie de soirée se place sous le signe de l’improvisation « indisciplinaire ». Médéric Collignon (trompette, cornet, voix, machines), Peter Corser (saxophone ténor), Labyala Nosfell (voix, guitare) et Edward Perraud (batterie, percussions, effets) introduisent la « nuit klokobetz/krautrock » ; « krautrock », c’est le style du groupe suivant, Faust, et « klokobetz », la langue inventée par Nosfell, comme en son temps Christian Vander et le « kobaïen » pour Magma. Un terme guttural qui reflète le ton de la soirée, tout en télescopages.

Edward Perraud © H. Collon

On avait déjà vu Nosfell, Collignon et Corser avec Pierre Le Bourgeois aux violoncelle et effets, mais ici, Edward Perraud change la donne : la continuité lyrique se transforme en culture de l’inattendu. Quant à la jolie pop de Nosfell, elle se fait bruitisme contrasté. Le musicien passe du plus aigu au plus grave, de la guitare au ukulélé et de la balle de ping pong au clavier sans difficulté aucune. Chaque outil devient un jeu, l’occasion d’une prouesse technique, un nouveau lieu de rencontre imprévu. À une courte introduction succède un morceau beaucoup plus long qui s’auto-engendre avant de se refermer sur lui-même. Entre-temps, un dialogue s’installe avec Collignon, l’autre vocaliste de la soirée. Après avoir sobrement commencé par une improvisation à la trompette, ce dernier jongle avec un cornet, une embouchure en plastique, le micro et toutes sortes de transformateurs/déformateurs/créateurs de sons. Peter Corser, lui, ne mange pas de ce pain-là ; son saxophone est plus classique, mais non moins talentueux. Il faut quelques minutes avant de comprendre que c’est lui qui donne le rythme, avec autant de brio que de discrétion. Pourtant, il ne résiste pas à arpenter occasionnellement le devant de la scène ou user de quelque gadget invisible qui fait tout à coup naître des oiseaux dans le ciel. Edward Perraud, dont l’ombre est magnifiquement projetée sur une ruine proche, ne se distingue visuellement que par les objets qu’il projette avec force sur sa batterie, lesquels ne manquent évidemment pas d’atterrir hors de scène. Le percussionniste, moins démonstratif que d’habitude, déconcerte les néophytes venus voir Nosfell : il n’est jamais là où on l’attend. Les quelques passages où il joue fort réjouissent les amateurs de rock, d’autant qu’il est admirablement suivi par les trois autres ; une véritable jubilation habite alors la scène comme la salle ; la plupart du temps, cependant, il demeure assez discret. Nosfell, quand il n’invente pas de facétie sonore, danse au milieu, et en une belle improvisation dessine le thème de la chute.

Médéric Collignon © Hélène Collon

À l’impression d’éclatement sonore se substitue toujours au bon moment celui de cohérence musicale, d’invention jouissive et de rencontre-mouvement. Oui, ça bouge : on remue le pied dans les moments rock, la tête dans les moments plus free. On rit d’entendre de fausses cigales, de voir les musiciens s’amuser - Collignon en se servant d’un micro comme d’un lasso ou en imitant la guitare électrique, Perraud avec ses innombrables gadgets et Nosfell avec sa balle de ping pong qu’il jette dans un bol. On rit aussi de leurs fausses disputes, leurs imitations réciproques, leur folie musicale. Et si le duo Collignon-Nosfell est plus spectaculaire que la paire Corser-Perraud, jamais ceux-ci ne sont oubliés : la musique naît de la rencontre des quatre personnalités, et non de leur addition.

Après la pause, le krautrock : une déferlante sonore s’abat sur les gradins. Le public est divisé : ceux qui sont venus voir Nosfell fuient au compte-goutte, ceux qui sont là pour Faust, célèbre groupe pionnier du postrock des 70s. Moins expérimental qu’on pouvait s’y attendre, il donne dans le volume, à tel point qu’on n’entend plus grand-chose des « expérimentations sonores » censées caractériser cette musique. Dommage, car le peu qu’on en perçoit est alléchant : une batterie tribale (Zappi) et une basse (Jean-Hervé Péron, également à la voix et à la trompette) parfaites pour la transe, un clavier entraînant (James Johnston), deux guitares (James Johnston et Geraldine Swayne – également à la voix), et des platines (Philippe Petit) pour le côté électro. On n’échappe hélas ni à la surenchère, ni à la mode de la vidéo, qui distrait l’esprit plutôt qu’elle ne l’attire, et ne sert pas la musique, surtout quand l’image principale est un gros plan sur la tête du guitariste, l’air blasé. C’est donc avec une sensation d’inachevé que l’on quitte le site étoilé, avec l’impression que d’excellentes compositions ont été gâchées par quelques détails superflus.

Heureusement, les « performances » du retour éclipsent cette déception. Ce qui est finalement identifié comme une « harpe à nuages » aura nourri force spéculations extraterrestres : c’est un fil lumineux de plusieurs kilomètres qui s’étire dans le ciel, réagit au contact des nuages et prend sa source non sur Mars, mais dans l’île du Frioul. La semaine se poursuivra avec de la transfusion image/son, des musiques du monde passées à la moulinette de l’acid électro (avec notamment Jos Ex, chanteur de The Ex), de la danse, du blues…

Un festival trop peu médiatisé, car remarquable dans le paysage culturel marseillais…