Chronique

Hasse Poulsen’s Sound Of Choice

Hippies With Money

Hasse Poulsen (g, electr), Fredrick Lundin (ss, ts, electr), Lars Juul (dr, electr).

Label / Distribution : Quark

Récente production du label Quark, le nouvel album des Sound Of Choice de Hasse Poulsen, en reflète bien la ligne : inventive, exigeante, vivante, hybride et passionnée. À l’intérieur de la pochette, deux petits bonshommes, un rouge et un vert, se tiennent par la main : ici, on ne jure que par le mélange, la recherche, la citation, la trituration, bref, le plaisir. Hippies With Money, tel est le titre du septième album du groupe. Drolatique, rock, free, électrique. Avec un grain de folie.

« Comment décrire la musique ?
C’est swing et rubato en même temps.
Le rock’n roll et Stockhausen s’y retrouvent.
Elle est à la fois tonale et atonale.
Il y a beaucoup d’humour mais ce n’est pas drôle.
Il y a de nombreuses références à d’autres styles musicaux et d’autres musiciens, mais le coeur de la musique ne change pas : c’est nous.
Donc, c’est du jazz ! [1] »

On navigue ainsi d’une explosion libre à une balade mélodique, d’une fanfare à trois à la country music, de distorsions électroniques sur fond de rythmique pop à des solos complètement libres… Le morceau d’ouverture, « Socabilly », offre d’amoureuses et joyeuses réminiscences de la musique de Chuck Berry, dont Poulsen avoue qu’il a mis longtemps avant de réussir à l’adapter en des termes de jazz plus « abstraits ». N’empêche, ça swingue. D’hommages, le disque en est plein : qu’ils soient musicaux, comme « John Scofield », « Sleepy Man », dédié à Keith Jarrett, « Old Hip » à Jim Hall et « 2 x 2 = 7 » à Radiohead, ou personnels, avec « Claudia in Front of Her Mirror » ou « Ballade pour Xavier ». Hippies With Money tout entier est une évocation, pour un groupe bien établi, de jeunes années passées à Copenhague à écouter les grands jazzmen de l’époque. Hippies dans l’âme, Money dans la vie ? « This is music I like, music that we like. It certainly is not a record that will change history or bring peace, prosperity and democracy to the world. It won’t fill our pockets with gold either, but we really enjoy this music », lit-on dans les notes de pochette. L’art peut-il changer le monde ? À son échelle, oui !

Il peut nous faire danser - « Socabilly », merveille de bal ; il peut nous émouvoir - « Bye Bye BéBé », magnifique et courte balade, et nous surprendre - « 2 x 2 = 7 », pop réjouissante. Rythmes et contrastes sont très justement dosés, tant à l’intérieur des morceaux qu’au sein de l’album lui-même. « 2 x 2 = 7 » fait ainsi suite à un solo de saxophone à couper le souffle – solo que l’on aurait peut-être moins remarqué s’il n’était pas placé à cet endroit. Les Sound Of Choice visitent tous les styles, tous les registres, toutes les atmosphères. Ils font la somme de tout ce qu’ils ont vécu, et cette somme est à la fois ancienne et nouvelle, gorgée de références et défricheuse, en forme d’hommage amoureux et de plaisir instantané. Presque tout a été enregistré en deux jours dans un petit studio aux portes de Paris. Seul le solo évoqué ci-dessus, « Cadenza », a été capté sur scène, à Poitiers, au Carré Bleu ; quelques passages de guitare ont également été modifiés après-coup. Hasse Poulsen ne joue pas de guitare électrique, mais d’une guitare accoustique amplifiée, ce qui lui donne un son à la fois garage et précis, très reconnaissable.

Co-fondé avec Lars Juul (dr) à la fin des années 1980, depuis 1993 Sound Of Choice est un trio avec Fredrick Lundin aux saxophones ténor et soprano. Après avoir été dans l’improvisation totale, il se concentre à présent sur les compositions du guitariste. Né au Danemark en 1965, ce dernier a abandonné le violon pour la guitare à 13 ans, est entré au Conservatoire de Copenhague en classe de Jazz, Rock & Folk et s’est imprégné de Sonny Stitt comme de Ligeti, d’Ed Thigpen comme de Stockhausen, de Derek Bailey comme de NHOP (Niels-Henning Ørsted Pedersen). Installé en France, il joue dans de nombreuses formations, dont Das Kapital avec Edward Perraud et Daniel Erdmann, qui sont aussi les co-directeurs artistiques du label Quark.

Chez les Sound Of Choice, il y a l’évidence du plaisir de jouer, de la jubilation d’être ensemble (on espère d’ailleurs pouvoir les voir en concert bientôt !) et de créer un objet bien à eux. « Sometimes you do things for the pleasure of doing them, juste like that, without ideas about leading anywhere or bringing profit or strengthening a position. You do it because it makes you feel good ».
And we listen to it because it makes us feel good.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 7 décembre 2010

[1Ces déclarations de Hasse Poulsen sont extraits de la feuille de presse du disque.