Entretien

Patrice Soletti

Rencontre avec le guitariste et leader de l’Electric Pop Art Ensemble.

Photo : Michael Parque

Les arrangements de Patrice Soletti, leader de l’Electric Pop Art Ensemble, sont conçus comme un voyage vers des contrées sauvages, aux frontières mouvantes. Son dernier projet associe voix, texte, poésie, beat box, improvisation, électricité et électronique avec un répertoire construit autour de rencontres et de croisements de regards.
Le guitariste assure la direction du batteur - beat boxeur, également au synthétiseur, Norbert « Touski » Lucarain, des platines et d’un second synthétiseur manipulés par David « Catman » Taleb, et invite pour ce concert à l’AJMI le slameur Toma Roche.

- Ce groupe, cet ensemble, a évolué depuis 2014 ; quelle importance accordez-vous à vos musiciens, à leurs instruments et au format du groupe ?

C’est un ensemble qui a une histoire autour de l’idée de mise en commun, de partage. Les personnalités qui font ou ont fait partie de l’Electric Pop Art Ensemble peuvent potentiellement être réinvitées dans d’autres projets ; ce sont des solistes qui assument leurs gestes musicaux, qui ont une réflexion sur la musique et des activités de leader par ailleurs. Sans leur investissement, ça ne pourrait pas marcher. Catman amène son univers forgé pendant des années, il a un regard sur les propositions ; Touski, le batteur, au beat box et/ou synthétiseur est extrêmement important du fait qu’il est multi-instrumentiste. On partage une histoire de 30 ans.

Patrice Soletti. Photo Michael Parque

Le projet de l’an dernier, Postcard, avec Emilie Lesbros, avait aussi son univers. Il y a un continuum avec la lecture de chacun, qui donne un résultat partagé. On essaie de croiser tout ce qui viendrait de l’électrique, les idiomes, les différentes tendances (jazz, rock, électro, etc.) autour de ces personnalités, de croiser les langages autour de réflexions partagées, toujours en soubassement. De cela émane un ensemble où chacun entend les choses à sa manière, dans l’instant ; chacun compose avec ce qu’il est. Personnellement, mon rapport à l’instrument me pousse à le détourner, à créer une tension. Je travaille donc sur le son : j’intègre la guitare comme un élément à part entière des timbres, des sculptures sonores.

- L’aspect inattendu et exploratoire jalonne vos projets musicaux. Ce projet incorpore texte, parole et musique. Comment avez-vous abouti à cela ?

Les musiciens invités ont un goût pour les sculptures sonores, la confrontation des univers ; parfois, c’est la somme d’individualités qui forme l’ensemble. La tension avec l’instrument évite de tomber dans la posture, le rôle. Nous cherchons à ce que la musique participe à toutes les langues : sonores, textuelles et sociales. Ainsi, l’aspect humain et social implique que les mots doivent s’adresser à tous ceux qui peuvent les entendre ; la parole a pour but d’ouvrir un nouveau champ. De même, les objets sur scène sont là pour transformer la guitare en « résonateur » de timbres, car une guitare, ce n’est qu’un bout de bois avec 6 ficelles et des micros !

LES MOTS DOIVENT S’ADRESSER À TOUS CEUX QUI PEUVENT LES ENTENDRE

- Dans la démarche que vous présentez, on entend les contours d’une cartographie imaginaire et utopique…

Il y a quelque chose de central dans l’idée que l’utopie est un moteur vers une évolution positive, elle prend sens dans un contexte contemporain. C’est l’idée de disséminer des approches très larges de la musique, conceptuelles ou idiomatiques pour effectuer des glissements fertiles et impliquer les publics, sans les perdre, sans qu’ils se sentent délaissés, d’utiliser des codes communs en les retravaillant en collectif.
Mon implication artistique consiste à me mettre au service d’une prise de parole élargie. Il s’agit d’ouvrir cette niche musicale vers le plus grand nombre. C’est une expérience partagée autour du concert, mais également une série d’actions pédagogiques. On fait des résidences dans des collèges, qui se déroulent dans la réalité du geste artistique. Par exemple, on commence par un concert de 30 minutes en situation puis nous entamons la discussion. C’est un aspect que je trouve important : le Laboratoire Electrique vise aussi à intégrer des pratiques amateurs et professionnelles sur ces temps d’improvisation. On a envie de voir, de créer un dialogue avec des consom’acteurs.
Il n’y a que l’action qui a une forme de réalité. Je souhaite être dans un processus actif - actif ne signifie pas nécessairement jouer sur scène : c’est aussi être à l’écoute, regarder, s’intéresser à autre chose que la scène. C’est une raison d’être, d’être « ensemble ».