Scènes

Festival Koa Jazz 2016 (2)

Electric Pop Art Ensemble et Marc Ribot solo


Marc Ribot (par Frank Bigotte)

Le samedi 30 avril, l’Electric Pop Art Ensemble du guitariste Patrice Soletti faisait la première partie du solo de Marc Ribot.

Sur le plateau de l’Electric Pop Art Ensemble, un fatras de câbles dégouline de ce qui semble être une MPC posée sur un pupitre (c’est un boîtier composé de plusieurs zones de frappe, des pads, à chacun desquels on assigne un signal sonore qu’on peut donc jouer en temps réel), avec à ses pieds une demi-douzaine de pédales d’effets. A l’arrière-plan, une table de deejaying supporte des platines, d’autres pads, et quelques machines de guerre dont il est bien difficile de saisir d’emblée la fonction. Côté cour, la batterie attend qu’on lui tape dessus sans se préoccuper du synthétiseur qui la jouxte. Patrice Soletti arrive en courant, guitare au poing et tout sourire, suivi de près par David Taieb (a.k.a. Catman) qui s’installe derrière ses platines. Norbert Lucarain (a.k.a. Touski), crête de punk et regard espiègle, finit sa bière en fond de scène et prend place derrière sa batterie.
L’entrée en matière est bruitiste ; Taieb martelle sa platine avec une mailloche, Lucarain heurte sa batterie avec un micro tout en jouant littéralement du clavier avec ses pieds, Soletti agace les micros de sa guitare (une Gibson SG, assez rare sur les scènes de jazz) avec un transistor de poche. Du papier froissé, des scratches, et les rivets de la cymbale tracent une traînée de poudre qui dure une éternité.
Après quelques minutes inquiétantes pour des oreilles peu averties, la guitare les amadoue avec une couleur blues vive et donne un nouveau tour au spectacle. Des harmonies se construisent entre son jeu à l’archet et le chant du batteur pendant que Catman joue des samples. On comprend de mieux en mieux les ambiances et les prises de parole gagnent en cohérence. Chaque musicien s’amuse comme un môme à jouer des rythmes avec ce qu’il a sous la main ; des tuyaux de plastiques, des vis jetées par terre... Ils se regardent en se marrant chaque fois que l’un d’eux a une drôle d’idée. Le concert n’est pas une succession de morceaux mais une longue plage de musique malléable, malaxée, triturée. On ne sait finalement jamais à quoi s’attendre, mais ils parviennent avec finesse à nous embarquer dans leur monde turbulent où l’on voyage de surprise en surprise. L’Electric Pop Art Ensemble porte bien son nom, c’est un seau de peinture qui nous est jeté en pleine face et les couleurs qu’il contient sont éclatantes.

Marc Ribot (par Alain Bigotte)

Marc Ribot solo
Dans les quelques pas qu’il fait pour traverser la salle et monter sur scène, on peut déjà sentir Marc Ribot concentré et dans sa musique. Une guitare acoustique, une chaise, un micro. Deux ou trois accessoires (qui s’avéreront d’ailleurs anecdotiques), et il tient le public en haleine pendant près d’une heure et quart. Penché sur son instrument, oreille collée à la caisse et lunettes sur le bout du nez, il ne lève jamais les yeux pour regarder le manche ou l’auditoire. Il parle peu, sa guitare dit tout. Il est juste là, pénétré par son univers, et les ambiances se succèdent, qui n’ont parfois rien en commun. Après avoir démarré sur des dissonances aiguisées et électriques (dans l’intention), éclot un jeu moelleux et chaud, en arpèges, un easy listening presque rassurant. Dans le discours surgit presque par hasard une blue note qu’il saisit au vol et fait enfler, pour qu’elle colore enfin le morceau jusqu’à sa fin.
En 1995, il enregistrait Book of Heads, un recueil d’études pour guitare solo composé par John Zorn. La deuxième étude qu’il interprète ici est bruitiste et absconse ; il frotte son doigt mouillé sur la caisse ou sur un ballon de baudruche pour émettre un couinement, tape sur les cordes et sur la caisse, excite à l’archet un morceau de polystyrène, joue quelques notes rapides... La pièce est courte. Le répertoire continue, et jusqu’à la fin du concert le blues est partout. Il fait entendre tout un orchestre dans la richesse de son picking. La souplesse rythmique est immense, et pour s’en aller vers un autre univers il ne résout pas son blues mais préfère au contraire y empiler des tensions jusqu’à l’extrême. Ces frottements se retrouvent finalement transfigurés et prennent subitement une allure dramatique ; c’est une fugue poignante qui apparaît alors. Les influences sont innombrables, on entend du blue grass, de la country, même des musiques indiennes quand il sonne comme un sitar. Des standards également, il joue « There Will Never Be Another You » en y citant « So What » et « Four », mais aussi « La Lettre à Elise » dans un trait d’humour inattendu. Le concert s’achève sur une version de « Stella By Starlight », synthétisant toutes ses facettes exprimées pendant le concert, ô combien multiples.