Scènes

Pierre de Trégomain 4tet (la Fabrica’son)

Pierre de Trégomain est d’ailleurs, ou « De l’art du jazz (chanté) »


Les musiciens - ils peuvent être classiques - ont quelque chose qui nous enchante. Et si ce sont des femmes, elles nous dérobent. Certains de ces musiciens sont leur propre instrument, ce sont les chanteurs, et certains chanteurs - ils peuvent être de jazz - ont quelque chose qui nous élève. Et si ce sont des femmes… qu’elles soient en robe ! Changeons cela…

Certains chanteurs chantent des morceaux dit de jazz, d’autres improvisent aussi leur chant, ce sont les chanteurs de jazz, tel Pierre de Trégomain.

L’art, disons-nous, nous élève, dans toutes ses formes. Ce qui nous élève - et ce sera ici la musique - est cela même qui élève les artistes, par-delà la pratique de leur art. Une spiritualité sans mots qu’ils réussissent à s’offrir pour nous l’offrir alors. Mais une spiritualité qui a son langage, et ce langage peut être universel, comme disait ce chef d’orchestre voyant une paysanne ukrainienne écouter, durant toutes ses années de vie, les Cantates de Bach sur son microsillon : « Nous sommes les mêmes ! » Aussi, l’art d’un autre devient rapidement notre art, du moins notre écoute, attentive, et le jazz une école de l’entente mutuelle - pour reprendre un mot de Didier Lockwood -, et de la liberté. Car c’est ensemble qu’il faut composer, aux deux sens du terme.

Ainsi va notre admiration pour les artistes qui nous donnent à entendre (ou à voir) quelque chose d’inouï - le sens premier du terme - (ou d’invisible). Et nous pourrions répondre à la frange de la population qui demande « Mais l’art, à quoi ça sert ? » que c’est justement le contraire : tout sert à l’art. On pourrait appeler ça une esthétique de la vie.

Voilà ce à quoi nous songions en laissant fuir cette passante, nous qui nous dirigions, ce 6 février 2011, vers la Fabrica’son itinérante de Malakoff (92) pour écouter le Pierre de Trégomain Quartet à l’occasion du 7e Festiva’son de l’association.

Qu’ont en commun Bob Marley, Chet Baker et Fischer-Dieskau ? Ce sont de grands chanteurs, mais dans différents registres ! Mais encore ? Ils ont assimilé leur art au point de devenir, disons, un instrument. Ce sont des amoureux. Qui ont fait chair de leur passion. Pierre de Trégomain est de ceux-là. Et si le cuivre s’éveille clairon, ce n’est sans doute pas le fruit du hasard, mais celui de rencontres et de travail. Lauréat du concours de Crest Jazz Vocal en 2008, il nous révèle que ce chant d’un autre, des autres, était intimement son chant : il nous dit d’où il vient ! Et son album, My Cold Song, un petit dictionnaire amoureux du jazz et un précis de grammaire harmonique. Les prestations de ce quartet, un étourdissement. On se souviendra également des talents conjugués d’Arnaud Gransac (piano), Benoist Raffin (batterie) et Lahcène Larbi (contrebasse) qui font l’unité autour du chanteur et nous invitent au dialogue.

A une époque où certains se complaisent à chanter de vieux tubes à la sauce bon goût - mais avec une contrebasse et dans un rythme plus lent, plus lancinant, pour leur donner un peu de cette langueur contemporaine en ces temps où le réchauffé de la planète vaut mieux que toute création -, il faut saluer le travail de Trégomain et de Gransac pour leurs compositions et leurs arrangements, puis du Quartet pour nous avoir offert ce soir-là une prestation réglée et un album ciselé.

Trégomain est un baroque qui parvient à ses fins : l’objet « jazz ». Si son inspiration ne fait aucun doute, il nous indique aussi ceux qui l’ont inspiré, dans ses textes, dans ses airs. Redire ce que d’autres ont dit, ce n’est pas répéter, imiter ; c’est, all’improviso, le processus de création lui-même, à l’opposé des coups de brillantine sus-cités. Les compositions de ce chanteur généreux et abondant sont une exégèse du jazz. Celui que nous aimons.

Mais pourquoi tout en anglais ?

par Julien Gayrard // Publié le 4 avril 2011
P.-S. :

Si Lahcène Larbi (contrebasse) est présent sur le CD, c’est Bruno Schorp (contrebasse) qui accompagnait le quartet ce jour-là.