Scènes

Vossa Jazz, un jubilé sous le soleil exactement

Le festival de Voss fêtait sa 50e édition avec un programme chargé, du soleil et de la neige, du 31 mars au 2 avril 2023.


© Runhild Heggem-Vossa Jazz

La petite station de ski norvégienne, capitale gastronomique de la Smalahove – la tête de mouton séchée et bouillie -, n’en finit pas de s’étendre en cercles concentriques autour de son lac gelé. Voss est cachée dans une vallée qu’on atteint par le train, en partant de Bergen et en longeant le fjord. De nombreux et spacieux hôtels sont là pour accueillir les grappes de skieur.euse.s (les vacances de Pâques débutent ce même week-end) et leurs nombreuses salles de concert, conférences, bars et autres espaces disponibles sont mis à la disposition du festival.

Car ce festival, fondé il y a 50 ans par quelques amateurs de jazz, dont Lars Mossefin, actuel coordinateur du Europe Media Chart, n’a jamais désempli. Vossa Jazz est vite devenu un rendez-vous incontournable pour le jazz norvégien, européen et mondial.
Cette année, celle du jubilé, c’est la directrice Trude Storheim qui a la charge de l’organisation. Vossa Jazz est un rabbit-festival, c’est-à-dire avec une programmation en tuilage qui rend difficile l’accès à tous les concerts et qui nécessite de faire des choix et de courir vite d’une scène à l’autre pour en rater le moins possible.

Moskus, Mari Kvien Brunvoll et Stein Urheim © Runhild Heggem - Vossa Jazz

Aussi, parmi les nombreuses propositions artistiques, on constate une grande présence de la scène norvégienne et scandinave, et pas des moindres. Le trompettiste Nils Petter Molvær en tête d’affiche ou la chanteuse Mariam Wallentin et son projet chaleureux et légèrement pop avec le Vestnorsk Jazzensemble.
On écoute le trio Moskus qui partage la scène basse de plafond d’un sous-sol plein à craquer avec le duo Mari Kvien Brunvoll et Stein Urheim, pour une lente immersion colorée et rêveuse, soluble dans la musique universelle.

On se presse ensuite pour voir l’explosif Large Unit EthioBraz du batteur Paal Nilssen-Love mettre le feu à la Vossasalen de l’hôtel Park. Avec des musicien.ne.s éthiopien.ne.s en costumes nombreux et changeants qui se mêlent à l’orchestre jazz scandinave, la musique tourne à l’orgie de sons et de couleurs. On dirait le groupe Kutu de Théo Ceccaldi en big band. La section de sax est à l’image de cette scène norvégienne, féminine et sans peur : Amalie Dahl, Heidi Kvelvane et Marthe Lea. Terrie Ex à la guitare électrique s’en donne à cœur joie pour s’immiscer dans le groove éthiopien dominant. A la fin de cette fiesta absolue, le saxophoniste suédois Mats Gustafsson – qui sort de balance d’une autre scène, se joint à l’orchestre pour un final enflammé.

Amalie Dahl, Marthe Lea et Heidi Kvelvane © Olav Aga - Vossa Jazz

C’est plus tard avec son quintet The End qu’on le retrouve sur la scène Pentagon, un couloir plein comme un œuf et une sono à 100 db. Malgré la qualité des instrumentistes, Sofia Jernberg à la voix, remontée comme une walkyrie, Kjetil Møster au sax et clarinette, Anders Hana et Børge Fjordheim à la rythmique et Mats Gustafsson à la flûte et au baryton, la musique a du mal à traverser l’épaisseur du public debout et compact sans perdre en clarté et en nuances.

Invités par le festival (Vossa Jazz a également été le lieu de rendez-vous d’un bon nombre de journalistes européens de jazz pour conforter et étendre les activités communes, autour de l’Europe Media Chart notamment), les « guests » dont fait partie Citizen Jazz ont été conviés à la visite du musée historique de Voss qui comprend un ensemble d’habitations traditionnelles vieilles de plusieurs siècles ainsi qu’une salle dédiée à l’histoire du festival de jazz. On assiste alors à un duo étonnant avec la chanteuse folk Berit Opheim et le trompettiste et chanteur espiègle Per Jørensen. On retrouve ensuite la musicienne attributaire de la commande du festival, la guitariste Oddrun Lilja, pour un concert dans la grande salle polyvalente de la ville, pleine comme un œuf. Il s’agit d’un programme fusion folk planant, avec des instruments traditionnels norvégiens et de nombreuses voix.

Iva Bitova © Iver Finne - Vossa Jazz

Dans la salle du cinéma, le projet Angrusori réunit l’ensemble norvégien Kitchen Orchestra et des musicien.ne.s tchèques réunis autour de la violoniste Iva Bittová. La musique est chaleureuse, drôle et intelligente et évoque les migrations. On pense fortement aux musiques des films de Tony Gatlif. Pour finir, un autre trio norvégien de premier plan, Bushman’s Revenge et son batteur emblématique Gard Nilssen ont de nouveau fait trembler les murs du Pentagon.
Autre salle, autre ambiance, avec la Ole Bull Akademiet, une école de musique rattachée à l’université de Bergen et qui porte le nom de son fondateur, virtuose du violon. Ici le son est roi, la salle est boisée et le sol feutré. On peut y entendre la délicate énergie du trio danois composé du pianiste Søren Kjærgaard, du contrebassiste Jonas Westergaard et du batteur Peter Bruun. Précision, effleurement et couleurs : voilà de quoi est faite leur musique.

Søren Kjærgaard, Jonas Westergaard et Peter Bruun © Iver Finne - Vossa Jazz

Beaucoup d’autres concerts ont été programmés dans des lieux comme l’église, à l’intérieur étonnamment décoré, avec une machinerie d’orgue impressionnante, ou la salle de l’hôtel Scandic où se déroule le concert Super Jazz, dédié aux personnes handicapées physiquement et intellectuellement, une population qui, à Vossa Jazz, trouve toute sa place.

D’une manière générale, on constate une prédominance de la musique folklorique norvégienne. L’instrument roi, le violon hardanger, est partout. Les chants traditionnels servent de trame à de nombreux projets et la programmation regorge de groupes qui colorent leur musique de ces teintes. Aussi, Vossa Jazz doit en partie son succès – tous les concerts affichent complet - à ce mélange de jazz et de propositions plus folkloriques.
C’est aussi un festival convivial et bouillonnant malgré les températures négatives et le soleil éclatant.