Renaud Garcia-Fons
Méditerranées
Renaud Garcia-Fons (ctb), David Venitucci (acc), Kiko Ruiz (gt), Henri Tournier (fl, bansuri, octobasse), Claire Antonini (luth, târ, cistre, bouzouki), Bruno Sansalone (cl), Bruno Caillat (zarb, daf, udu), Adel Shams (rik, derbouka), Solea Garcia-Fons (voc).
Label / Distribution : Enja Records
Les premières mesures d’« Aljamiado » ne laissent pas place au doute : Renaud Garcia-Fons est un magicien du voyage.
Il nous embarque avec lui – on sait depuis longtemps qu’il est un passionnant navigatore – une fois encore, pour un périple enchanteur dont on reviendra le sourire aux lèvres, habité d’un sentiment de plénitude et de bien-être, celui qui nous gagnait déjà à l’écoute de La Linea del Sur ou Arcoluz, ses deux précédents albums.
Méditerranées est en effet une nouvelle invitation du contrebassiste virtuose, qu’il paraît peu raisonnable en effet de refuser. La succession des dix-huit étapes qui constituent ses nouvelles pérégrinations écrit une aventure méditative et solaire, une odyssée, en quelque sorte, dont les paysages suggérés, toujours éclatants de lumière, souvent écrasés de chaleur, mais très loin de tourner les pages d’un catalogue touristique, sont chargés d’histoire et d’histoires.
Renaud Garcia-Fons célèbre ici l’Andalousie, visite Barcelone, Rome, Céret avant de se rendre en Irak, en Dalmatie ou sur le Mont Sinaï. Au passage, il rend hommage à Federico Garcia Lorca, Federico Fellini, aux Roms, ou encore au flamenco.
A ses côtés, le fidèle Kiko Ruiz à la guitare et David Venitucci à l’accordéon, déjà présents sur La Linea del Sur, sont épaulés par un aréopage de savants médaillés dont la richesse des couleurs n’est jamais prise en défaut par un excès de sérieux. Loin de tout académisme, Claire Antonini (luth, bouzouki), Bruno Sansalone (clarinette), Solea Garcia-Fons (chant), Bruno Caillat et Adel Shams El Din (percussions) mettent leur connaissance des musiques anciennes, traditionnelles et classiques au service d’un propos d’une grande limpidité et, mieux encore, d’une vraie sensualité [1]. Ils prennent une part essentielle au mouvement chaloupé des thèmes, et peuvent s’appuyer pour cela sur la belle tension mélodique développée par Renaud Garcia-Fons.
Jamais celui-ci n’avait encore fait une démonstration de concision. Ses compositions sont courtes – entre 1’30 et 5’ – et évocatrices : pas besoin de lire les titres, on devine très vite dans quel pays sa musique nous entraîne. Et le disque est d’autant plus abouti qu’il est, en fait, une sélection opérée parmi près de quarante thèmes que le contrebassiste avait composés [2]. Aux quinze thèmes élus il en ajoute trois et offre ainsi ce qui est peut-être son œuvre la plus syncrétique. Non content de réunir toutes ses influences, il les transcende et dessine aujourd’hui un univers musical qui s’apparente à un idiome.
Méditerranées, c’est aussi l’occasion de (re)découvrir quelques magnifiques instruments, eux-mêmes chargés d’un long et beau passé : le bansurî, une flûte traversière qui est l’un des plus anciens parmi ceux de l’Inde du Nord ; le bendir, percussion d’Afrique du Nord au bourdonnement caractéristique ; le bouzouki, célèbre luth grec ; le tambûr mal nommé chez nous puisque c’est un luth du Moyen-Orient ; d’autres percussions enfin comme le zarb, l’udu, le daf, la darbouka ou le rik… La liste est incomplète mais tous contribuent à faire puissamment vibrer ce Méditerranées dont, par ailleurs, le propos n’est pas dénué d’engagement politique puisque Garcia-Fons rend un hommage appuyé aux Républicains espagnols victimes du franquisme (« Luces de Lorca », « Camp d’Argelès ») ou tire le tapis sous les pieds de ceux qui, aujourd’hui, jouent avec le feu et stigmatisent des peuples. C’est ainsi qu’il nous raconte la visite de Roms à Rome chez Ennio Morricone (« Romsarom »). Célébrer la beauté en contemplant le ciel ne doit pas pour autant interdire de garder les pieds sur terre et de regarder le monde en face…
Sur le livret, on lit cette citation de Jacques Debourbon-Busset [3] : « Tout est musique. Un tableau, un paysage, un livre, un voyage ne valent que si l’on entend leur musique ». Rassurons Renaud Garcia-Fons : on a parfaitement entendu la musique des paysages qu’il nous a conviés à traverser avec lui. Elle est belle, tout simplement, d’autant qu’elle procure ce qui, finalement, est essentiel à l’être humain : le plaisir !