Chronique

Pierre Bertrand

La grande vie

Pierre Bertrand (sax, fl), A. Ceccarelli (bt), A. Origlio (p, Rhodes), J. Regard (ctb), M. Garay (perc), S. Chausse (sax, cl), T. Russo (tp), M. Feugère (tp), D. Leloup (tb), Ph. Georges (tb) + Cordes de l’Alhambra.

Comme une carte de visite sonore ! La bande originale du film d’Emmanuel Salinger, La grande vie, sorti en salles fin 2009 et disponible en DVD, est signée Pierre Bertrand [1]. Ce saxophoniste compositeur arrangeur, fondateur en 1998 du Paris Jazz Big Band avec le trompettiste Nicolas Folmer, couronné de nombreuses récompenses ces dernières années, fait ici la démonstration de l’étendue de son talent en déroulant un répertoire bariolé et multi-cartes. On nous pardonnera de n’avoir pas vu le film – ce qui, finalement, libère notre imagination et nous laisse inventer notre propre scénario – et de n’en retenir qu’un souvenir musical bien agréable.

Il faut dire que Pierre Bertrand a su s’entourer : autour du trio André Ceccarelli (batterie)-Alfio Origlio (piano)-Jérôme Regard (contrebasse), il a convoqué les cuivres du PJBB et les cordes de l’Alhambra. Il fallait au moins cela pour mettre en musique une comédie, exercice certainement plus compliqué qu’il y paraît et sur lequel d’autres se sont cassé les dents. On peut d’ores et déjà considérer cette première tentative comme réussie puisqu’il propose ici un disque d’illustration qui a le mérite de rester éminemment écoutable en soi, avec un parfum légèrement suranné, un peu à l’ancienne. On a beau lire les notes de pochette, connaître l’argument du film et ses interprètes, on ne peut s’empêcher d’imaginer des scènes en noir et blanc, des acteurs aujourd’hui vieillissants qui se trouvaient alors en pleine jeunesse.

A ce qui, d’une certaine façon, s’apparente à un exercice de style, on peut certes préférer le foisonnement festif du Paris Jazz Big Band capté dans ce qu’il a de meilleur, comme sur le réjouissant The Big Live. Mais cette vingtaine de courtes séquences ne manque pas de charme : Pierre Bertrand montre un sacré savoir-faire et les scènes défilent avec une grande vivacité, soulignée par un peloton de cuivres en verve. Il va jusqu’à nous plonger dans un univers mozartien sur « Grand Restaurant » avec la complicité de la clarinette de Stéphane Chausse, ou un R’n’B à la Barry White (« Soirée chez Patrick », décliné plus loin en « High Life »), après avoir introduit une atmosphère à la West Side Story et ses claquements de doigts (« Champagne », « Tout marche mal ») ou abordé aux rivages d’une ambiance plus proche de Herbie Hancock et son « Watermelon Man » (les premières mesures de « Blue Note Twist »). Un peu plus tôt, on était immergé dans un générique fleurant bon les années soisante ; ici ou là affleure un jazz plus intimiste, interprété en quartet ou en trio (« Love Song », « Easy Trio »). Comme sur toute bonne b.o., exercice oblige, ces séquences sont reliées par le fil rouge d’une mélodie, celle du « Générique ». on la retrouve sur « Les desserts », « Seul devant la caméra », « Rendez-vous à l’hôtel », « Paillettes »… puis dans le final radieux du happy end : « La grande vie », avant le générique (« Revanche »).

On peut supposer sans trop s’avancer que pour Pierre Bertrand, cette première musique de film ne sera pas la dernière. Son travail très professionnel devrait légitimement lui attirer d’autres commandes - après tout, jazz et cinéma ont toujours fait bon ménage.