Chronique

Roberto Negro

Garibaldi Plop

Roberto Negro (p), Valentin Ceccaldi (cello), Sylvain Darrifourcq (dm)

Label / Distribution : Tricollection

Ce qui frappe d’abord, dans ce disque excellent et très original, c’est la façon dont sont assumés les contrastes, les ruptures de ton, les bifurcations, et généralement l’utilisation des instruments par rapport à leur emploi habituel. Que la batterie ne marque pas un tempo régulier n’a rien de nouveau, mais qu’elle apparaisse et disparaisse au gré de fantaisies totalement voulues et même écrites est déjà plus rare. Que le violoncelle, qui pourrait n’être qu’une voix plus haute d’une basse continue, soit lui aussi au gré des moments quasiment en sourdine, ou éclatant, est encore une marque de cette volonté de brusquer les oppositions qui est un des aspects de la musique de Roberto Negro. Lequel, du pianissimo le plus extrême au fortissimo le plus foudroyant, se joue également, et de ce qu’il écrit, et de ce qu’il exprime.

La photo qui orne le recto - on y voit un homme, le regard à la fois droit, pénétrant et un peu perdu, et le verso, on y voit ses compagnons d’une soirée où des bouteilles ont été ouvertes, non pour être bues jusqu’à plus soif mais pour que l’une d’entre elles réserve au moins la possibilité d’être appréciée, cette photo donc, de famille, représente le père de Roberto Negro, toujours vivant et possédant une mémoire très vive de ces instants où, avec des camarades, ils décident de franchir la frontière pour affronter un ennemi allemand qui a repris pied en France pour s’opposer au débarquement américain. C’est un instant de décision, où tout peut basculer. La musique est née de ce souvenir, de cette image, elle n’en est pas déduite, elle n’en est pas, au sens strict, le prolongement. Mais elle en est une des causes.

C’est de cette nuit noire que naît la musique. Projet déjà assez ancien, présenté à « Vague de Jazz » en 2015, puis dans une soirée « Tricot » à Paris, à la Générale, suite à une résidence au Triton en 2014. Sur le CD figure le nom de Cerrina, la commune près de Turin où a lieu la scène. Dans le disque, apparaît en douceur la voix de Maurice Chevalier. Le disque est dédié au père, « à ceux qui sont tombés, à ceux qui sont restés debout ». Le morceau un peu caché au final, c’est la voix du père. Il y est question de courir, question de vitesse, de ne pas se faire rattraper. Et si vous posez la question du « plop », faites un essai avec un tire-bouchon, et ça donne ça : « plop ».

Que ces détours par l’histoire ne vous dissimulent pas la jouissance de cette musique à pas variable, à vitesse instable, à entrée fracassante et à sortie sur la pointe des pieds. On y a entendu des rappels, des citations, du swing, du piano romantique, du vérisme italien. Pourquoi pas ? Racontez-vous ce que vous voulez. Moi c’est peu d’images, et beaucoup d’élaborations sonores inouïes, une surprise permanente, des rencontres inattendues. Un triangle équilatéral dont les côtés restent égaux, mais par miracle.