Chronique

Rorschach

Rorschach

Erik Vermeulen (p), Seppe Gebruers (p), Eric Thielemans (dms), Marek Patrman (dms)

Label / Distribution : El Negocito Records

Alliance de quatre routiers de la scène flamande, Rorschach est en quelque sorte une description assez clinique de ce que peut être la musique improvisée en termes de liberté et d’ouverture au monde. Une musique guidée par l’instinct et la décision collective, d’autant que l’exercice est bien délimité : quartet à deux pianos et autant de batteries, installés sur des canaux distincts, la musique proposée par l’aventureux label El Negocito Records fait partie de ces improvisations avec contrainte souvent inspirées de la psychanalyse, lorsqu’elles ne se revendiquent pas d’une filiation oulipienne. Ainsi, le premier morceau, que l’ordinateur nous révélera intitulé « Der Kleine Hans » débute par un duel de batterie entre Eric Thielemans et Marek Partman avant qu’une pluie aigrelette de piano vienne rafraîchir une forêt de bois brut. C’est en tout cas l’image qui émerge immédiatement. Et c’est tout le sujet de l’album.

Inspiré par les taches d’encre aléatoires aux pliages des feuilles popularisé par Hermann Rorschach, qui ont nourri et décrit de nombreux fantasmes, le disque du quartet sait être fiévreux, notamment lorsque Seppe Gebruers (qu’on a déjà entendu avec Onno Govaert) et Erik Vermeulen ajoutent de la fièvre aux silences et aux habillages parfois spartiates des batteries. Ainsi « Rumble Bumble » [1] est une exposition de l’indécision créative, de la nervosité inhérente aux recherches de sonorité aux multiples impasses nécessaires à la découverte de la bonne voie, celle qu’éclaire un piano dominé par une main droite agile et sans limite.

Rorschach laisse libre cours à notre imagination. Il ne livre pas beaucoup d’information et fait confiance à notre libre-arbitre et notre capacité à ressentir la musique, à l’instar des fameux tests du psychanalyste suisse, basés sur la paréïdolie. C’est pourquoi la vraie bonne idée de cet album (tant qu’on n’introduit pas le disque dans l’ordi, donc, ou tant qu’on ne décrypte pas la pochette intérieure, sans indication précise cependant…) est de laisser les titres en blanc, à la libre interprétation de l’auditeur. C’est ainsi que « Jo Jo, The Dog Faced Boy » peut faire davantage penser à une traversée d’une mer calme sur un radeau de fortune, avec la houle qui grossit à mesure que le long morceau avance. Mais tout est affaire d’interprétation…

par Franpi Barriaux // Publié le 23 février 2020
P.-S. :

[1C’est encore une fois l’ordinateur et non la pochette qui nous donne l’info du titre, on y vient plus loin dans la chronique…