Chronique

Sara Schoenbeck

Sara Schoenbeck

Sara Schoenbeck (bsn), Harris Eisenstadt (dms) Nicole Mitchell (fl), Nels Cline (g), Roscoe Mitchell (ss), Matt Mitchell (p), Mark Dresser (b), Wayne Horvitz (p), Peggy Lee (cello), Robin Holcomb (p)

Label / Distribution : Pyroclastic Records

Repérée dans les orchestres de Harris Eisenstadt ou d’Anthony Braxton depuis de nombreuses années, autant d’expériences où elle s’est liée avec des musiciennes comme Nicole Mitchell, la bassoniste Sara Schoenbeck est une des rares improvisatrices sur la scène mondiale à user du basson, si on fait abstraction bien entendu de Sophie Bernado, plus connue dans l’Hexagone. Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché Schoenbeck de participer au White Desert Orchestra d’Eve Risser, entre autres collaboration de prestige - on notera par exemple un disque remarqué avec Taylor Ho Bynum et Joe Morris (Next, en 2011) et une expérience avec Roscoe Mitchell, Vinnie Golia ou George Lewis. De quoi situer pleinement une discographie et une cartographie musicale qui trouve dans « Sand Dune Trilogy », son duo avec Nicole Mitchell, une définition parfaite. Une musique subtile, très ouvragée, tout en dualité de timbres et qui ne cherche pas l’affrontement ou la virtuosité. Un dialogue intime et chaleureux, comme un fil rouge de cet album de duo sobrement intitulé Sara Schoenbeck, comme un portrait en creux.

C’est une multitude qui se présente à nous dans ce disque. Des noms prestigieux, comme Roscoe Mitchell avec qui elle signe un « Chordata » où elle se plaît à aller sur le terrain du grand saxophoniste. Le morceau est plus heurté, plus abstrait, affronte le silence comme une masse qui se fissure, lacéré par les anches, simples comme doubles. On peut être surpris de la polyvalence du basson, valeureux instrument d’orchestre, marotte vivaldienne ; Schoenbeck l’emporte dans d’autres paysages, et il semble qu’il n’y ait pas de terrain qu’il ne sache apprivoiser. Cela sautait déjà aux oreilles dans le mythique 12+1tet de Braxton à Victoriaville en 2007, ou surtout dans le Echo Echo Mirror House de 2011. En témoigne le fabuleux échange avec Mark Dresser, « Absence », qui pourrait presque, par instants, faire songer à une musique de la Renaissance qui aurait traversé le temps sans rien perdre de sa modernité. L’archet de Dresser est vif, les timbres s’entrecroisent, se marient… Il s’agit d’un des plus beaux duos de ce disque, avec la rencontre du guitariste Nels Cline (« Lullaby »). Là aussi, les musiciens ont une longue histoire ensemble. Schoenbeck était de l’étonnant Lovers ; le jeu de Nels Cline est toujours aussi caniculaire, une chaleur que le basson exacerbe dans une ambiance de lent western. On est dans un autre rapport, toujours plein d’empathie, qui s’accorde avec la personnalité de l’invité.

Pour beaucoup, ce Sara Schoenbeck sera une découverte. On a peu l’occasion de découvrir le basson dans une telle galaxie de timbres, et de l’entendre manier avec autant de facilité la douceur et la raucité. On gardera pour la fin ce « O’Saris » qui ouvre pourtant l’album et offre un duo très complice avec le batteur Harris Eisenstadt. C’est sans doute le morceau le plus radical, mais aussi le plus spontané. Le basson tonne et feule sous la mitraille lointaine des cymbales avant de s’emparer d’un thème d’une douceur peu commune. On ne saurait trouver meilleure articulation pour tenter de définir la musique de Sara Schoenbeck. Une artiste qui se forge avec cet album bien davantage qu’un luxueux CV : une carte d’identité qui a tout de la carte du Tendre.

par Franpi Barriaux // Publié le 5 décembre 2021
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