Scènes

Simon Goubert Quartet au Duc des Lombards

Au Duc des Lombards, le samedi 20 janvier 2001.

Simon Goubert (d), Sophia Domancich (p), Michel Zenino (b),Yannick Rieu (ts).


Le contrebassiste s’échauffe dans le brouhaha des conversations. Je suis si près de la scène que si j’étends mes jambes, je risque de faire un croche-pattes à Yannick Rieu. Quand à mon ami et voisin, il a les pieds coincés par un retour.

Première Partie

1) 65 bis (Rieu). Ballade. Sophia Domancich est tout de suite
grave, profonde, touchante. Elle a mis une couverture sur son siège pour être assise plus confortablement et plus haut. Goubert aux balais tisse sa toile. Un duo batterie/ saxophone s’ensuit, plus chaud. L’air est accéléré. Le batteur passe aux baguettes couvrant le piano de vacarme. Je ressens la contrebasse beaucoup plus que je ne l’entends. Yannick Rieu me bouche la vue sur Simon Goubert, batteur spectaculaire. Dommage. Goubert est déchaîné dès son premier solo. Le plus étonnant est que, même lancéà fond, il maîtrise toujours son discours. Le public reprend son souffle. Les musiciens aussi.

2) Rédemption (Goubert). Goubert se met en sourdine aux baguettes sur cette ballade et j’entends à nouveau Sophia Domancich faire montre de son talent. Elle se tient loin du piano, courbée, mais pas autant que Bill Evans tout de même. Il me semble voir une goutte de salive perler au pavillon du saxophone. Comment est elle arrivée jusque là ? Maintenant que Rieu rejoue, j’observe la danse des clapets de son instrument qui m’enchante. Pourquoi Simon Goubert,
avec toute sa puissance, ne joue t-il pas avec un organiste plutôt qu’avec une pianiste, comme Daniel Humair avec Eddy Louiss. Pourquoi pas avec Emmanuel Bex ? Mais peut-être cela est il déjà arrivé sans que je le sache ? La salle est comble, beaucoup de gens sont debout. Quelques malotrus jacassent pendant le solo de Michel Zenino. Petit à petit, il impose le silence. Puis ça repart en joyeux délire quaternaire. Le problème avec Rieu, c’est que n’est pas Coltrane qui veut. Il est néanmoins beaucoup moins limité que James Carter lorsqu’il se met à jouer vite et fort.

3) JF (Zenino). Hommage à Jean François Jenny Clark. Sophia
Domancich commence avec un son très « chopinesque » comme un « Nocturne ». Zenino la surveille du regard comme s’il craignait qu’elle ne se trompe quelque part. Le quatuor reste dans cette ambiance méditative ponctuée par la cymbale de Goubert. Le temps suspend son vol, l’espace d’un instant. La musique peut-elle faire revivre un disparu comme le montrait Bertand Blier, par un autre
art, dans « 1,2,3 Soleil » ?

4) Same on Good Bert (Zenino). Subtil jeu de mots franco-anglais, n’est il pas ? C’est reparti de manière pêchue. Domancich joue toujours aussi bien mais je trouve que Goubert la couvre par excès de volume sonore. Il n’empêche que la musique accélère,
ralentit, dérive, repart. Bref, ça joue ! En solo, le chef danse, assis,
avec sa batterie. Je n’aimerais pas me faire gifler par Simon Goubert. Ca doit faire très mal.

Deuxième Partie

1) Mister Sanders (Goubert). Hommage à Pharoah Sanders. Etonnant, non ? C’est chaud, dansant, rythmé, bref du modern swing ! Je dirais même que la musique décolle poussée par l’hénaurme moteur de la batterie Je perçois le piano mais ne l’entends pas. Il est vrai que Sophia est dans une phrase répétitive comme McCoy Tyner derrière Coltrane.

2) After the wind has gone (Goubert) Le prochain CD de Goubert comportera des parties live in concert enregistrées ce soir. Mes applaudissements seront donc gravés pour l’éternité. Mazette ! Le sax ténor sonne comme une flûte sur une sorte de mélopée orientale. L’influence de John Coltrane est toujours aussi marquée et pas seulement par l’instrumentation du groupe.

3) Ballade. Le ton est grave. J’ai le plaisir d’entendre à nouveau le piano. S’ensuit un solo rare et précieux comme l’avenue dorée que créent les derniers rayons du soleil couchant sur la mer. Lorsque le saxophone reprend, personne n’applaudit de peur de briser le charme. Aux pieds de Sophia Domancich repose un tambour. Qui l’a mené ici ? Son mari ? Solo tout en douceur de Simon Goubert. Il sait varier les plaisirs et se remet à fumer comme l’Etna en colère. Il cogne très fort et très bien, alliance rare, mais pourquoi se plaît il donc ainsi à briser un climat si subtilement créé ? Peut-être, tout simplement, par goût de la surprise… Tutto si fa calmo per un solo di Zenino. Désolé, mais la phrase sonne moins bien en français. Rieu devrait jouer « My Favorite Things » ou « Impressions ». Comme cela, ce serait plus clair. Le saxophone ténor hurle, gémit, se plaint, poussé par la rythmique et le punch du batteur. Le quartet entier est possédé par le démon de minuit.

C’est l’heure de la deuxième pause et de repartir de crainte que le métro ne se transforme en citrouille.