Chronique

Tamer Abu Ghazaleh

Thulth

Tamer Abu Ghazaleh (voc, oud, synth), Khaled Yassine (perc), Mahmoud Waly (elb), Khyam Allami (dm), Shadi El Hosseiny (p, synth, melodica)

Label / Distribution : Mostakell

C’est sous la forme d’un très beau carton coloré que se présente le troisième album du musicien Tamer Abu Ghazaleh. Un curieux portrait d’ailleurs. Sur la couverture comme sur les vidéos, le jeune artiste palestinien affiche, en effet, un même et unique profil : celui qu’un masque peint de bandes vertes vient recouvrir sur une bonne moitié du visage. Figure étrangement figée pour celui qui, né au Caire, a joué déjà dans plusieurs formations regroupant des musiciens venus aussi bien du Liban, de l’Égypte que de la Jordanie. Figure potentiellement réductrice, aussi, si l’on oublie, derrière sa réussite plastique, les multiples facettes du précoce talent de l’artiste : multi-instrumentiste (il joue aussi bien de différents genres de luth que de claviers), il est également chanteur, compositeur, producteur et même à l’initiative du label qui publie cet album que l’on se plaît si longuement à regarder. Avec cette façon très soignée de présenter sa musique, Tamer Abu Ghazaleh, montre indirectement qu’il est sans doute l’une des figures les plus marquantes de la musique arabe contemporaine.

Mais, conquis par l’image, il faut encore écouter la musique pour s’en assurer. Et pour cela, il faut encore déplier le carré de carton qui l’enveloppe. Alors, le disque en main, ce sont les paroles des neuf titres qui le composent qui apparaissent et s’étalent sous nos yeux. Écrites en arabe, ces lignes sont la transcription d’une voix qui tantôt chante ses propres textes (« El Balla’at ») tantôt les emprunte à d’autres poètes, contemporains (« Namla » de Tamim Al-Barghouti) ou classiques (« Hob » du légendaire Qais Ibn al-Mulawah). À l’instar du livret, le chant est particulièrement mis en valeur tout au long de cet album. On trouvera donc peu, durant ces réjouissantes quarante-deux minutes qui regardent aussi bien vers l’électronique occidentale que vers les tonalités indiennes, de ces longues envolées instrumentales qu’évoque parfois l’image des orchestres arabes et notamment égyptiens. Le lyrisme, tantôt retenu, tantôt nerveux, du chanteur s’emploie à maintenir une intensité qui ne tire pourtant jamais sa force de la colère ou de la plainte (il a pourtant parachevé sa formation au conservatoire de Ramallah). C’est que cet orchestre de cinq musiciens (leader compris), qui laisse le plus souvent courir, derrière la frappe lourde d’une batterie rock, le son lumineux d’un piano discret, apporte un soutien constant à cette voix. Dès qu’elle s’emporte, il en amplifie et prolonge le mouvement (par la puissance du luth notamment), mais aussitôt qu’elle se replie, celui-ci se fait plus calme et l’accompagne dans son silence.

Voix aussi indéchiffrable que le visage qu’il nous présente — pour celui qui ne pratique pas la langue en tout cas —, ce disque n’en constitue pas moins, par l’ouverture de son langage musical, une éminente expression de la scène actuelle panarabe.