Chronique

Baptiste Trotignon, Minino Garay

Chimichurri

Baptiste Trotignon (p), Minino Garay (perc)

Label / Distribution : Okeh Records

Cela fait déjà plus de six ans que les deux musiciens collaborent ensemble − essentiellement sur scène depuis qu’ils se sont rencontrés lors d’une tournée en Argentine − mais c’est seulement en mai 2015, à Buenos Aires, qu’ils enregistrent ce premier album. Un piano qui résonne par l’avant, par l’arrière, des percussions qui semblent courir entre main droite et main gauche (soit pour les suivre, soit pour les entraîner) et surtout peu de ces silences empruntés dans lesquels, parfois, un timide mais trop respectueux dialogue tente de s’instaurer - ce disque sans préambule nous livre, comme à l’état brut, toute la complicité acquise par les deux musiciens lors de leurs communes tournées. Voix s’élançant ensemble.

Le pianiste et le percussionniste, pourtant séparés en studio par la vitre d’une cabine, semblent, sur ce disque, jouer presque côte à côte comme le suggère la pochette de l’album, si proches l’un de l’autre qu’on n’est guère surpris, à l’écoute de leur musique, de ressentir cette joyeuse impression d’être nous aussi près d’eux : nous voilà, auditeur anonyme, sans visage, subitement et silencieusement métamorphosé en cette fine et discrète glace transparente qui mesurait la distance entre les musiciens durant les sessions. L’Europe et l’Amérique que les deux musiciens, l’un argentin, l’autre français, ont cherché à rapprocher sur cet album, n’ont plus d’autre frontière − provisoire − que cette fête improvisée, semble-t-il, au milieu de la route.

Le répertoire qu’ils ont choisi d’interpréter joue sûrement pour beaucoup dans l’étrange et chaleureux plaisir d’écoute que procure ce disque. En plus de quelques compositions du pianiste, un grand nombre de mélodies populaires : « West Side Story » de Leonard Bernstein, « Jenny Wren » de McCartney, des standards de jazz (de Monk et de Charlie Parker) et deux tangos de Carlos Gardel, étoffent en effet ce disque échevelé. Mais la formule en duo, très appréciée par Trotignon (qui possède par ailleurs une grande expérience de la performance solitaire) ajoute aussi toute sa simplicité (ce dernier la trouve d’ailleurs très apaisante tant elle permet aux interprètes de communiquer plus facilement). Enfin, et surtout, il y a l’engagement physique de chacun des musiciens (jusqu’à la voix, jusqu’au chant chez Minino), cette réjouissante énergie dépensée tout au long du disque et qui fait que l’on n’y entend pas seulement de la musique enregistrée mais des musiciens en train de la jouer, et mieux, de l’inventer.