Chronique

Sinikka Langeland

The Magical Forest

Sinikka Langeland (voc, kantele), Arve Henriksen (tp), Trygve Seim (saxes), Anders Jormin (b), Markku Ounaskari (perc), Trio Mediaeval (voc)

Label / Distribution : ECM

Une certaine précision manque pour dire en quoi consiste exactement la musique dite « folk » dans le paysage sonore actuel. Si elle fut bien souvent le « fait » d’un effort de préservation, du souci de sauver ou de ramener des fosses de l’oubli des formes musicales qui avaient disparu ou n’allaient pas tarder à le faire — quitte, parfois, à en fixer un peu trop fermement les contours : on appelait cela du folklore, musique mi conservée, mi inventée, disons plutôt re-produite au sens fort — le folk fut aussi et vise toujours bien plus que la perpétuation, même légitime, d’une ancienne mémoire.

Témoin, le travail à la fois artistique et musicologique de la harpiste et chanteuse norvégienne Sinikka Langeland qui revient avec un nouvel album chez ECM. Entourée des mêmes musiciens, finnois, norvégiens et suédois, avec lesquels elle a déjà réalisé Starflowers en 2007 et The Land That Is Not en 2011, jouant elle-même du kantele - une harpe finnoise - elle nous propose une vaste composition, à la fois humaine et sonore, portant nos oreilles bien au-delà des limites d’une quelconque et étroite tradition nationale, jusqu’aux confins mythiques d’une Scandinavie unifiée. Associé aux voix du Trio Mediaeval (avec lequel collabore également, par ailleurs, le trompettiste Arve Henriksen), le quintette s’est donné encore plus de chances de parvenir à rendre sensible cet univers à la fois originel et sacré.

Au milieu de sourds tambours, de scintillements de cordes venant de tous côtés et de puissantes et majestueuses voix qui soutiennent l’espace sonore du haut jusqu’en bas ; au cœur de cet paysage intemporel que remplissent ou dévastent cuivres et voix, féminines et solitaires, pousse un arbre de légende qui relie ciel et terre. Donner à ce mythe et à d’autres une facture en apparence aussi paradoxale, à la fois profondément archaïsante et terriblement récente, ce n’est pas rajeunir la tradition comme on rafraîchirait la mémoire, ou donner avec un ensemble jazz un petit coup de jeune à un très vieux — et désuet — répertoire. Ce serait plutôt ressourcer le présent, lui faire don d’une profondeur que son goût exclusif, et excessif, pour l’absolue nouveauté le conduit à négliger si souvent. Aussi sur cet album aménagé pour le rêve, des jazzmen ne viennent pas bousculer, avec leur art de l’improvisation, une musique trop figée, trop repliée sur elle-même, mais ils viennent au contraire relancer la tradition, faire qu’elle transmette à nouveau ses richesses. Comme le rock, comme la musique savamment écrite en son temps, le jazz démontre (mais qui en doutait ?) qu’il sait lui aussi inventer du folk.