Chronique

The Selva

The Selva

Ricardo Jacinto (cello), Gonçalo Almeida (b), Nuno Morão (dms)

Label / Distribution : Clean Feed

Il existe des musiciens dont la réputation au-delà des frontières de leur pays n’est pas forcément immense, mais lorsque la scène est florissante comme celle de Lisbonne, on se rend compte qu’ils ont une position centrale, qu’ils font de nombreuses rencontres, voire qu’ils essaiment leur musique dans d’autres pays, avec d’autres scènes. C’est le cas du violoncelliste Ricardo Jacinto, qu’on a pu entendre avec Luis Lopes mais aussi avec le tromboniste et électronicien britannique Tullis Rennie. On pourrait même étendre l’image à l’ensemble du trio The Selva, puisque le contrebassiste Gonçalo Almeida, qu’on a pu entendre récemment avec Rodrigo Amado dans The Attic, est installé à Amsterdam et que le batteur Nuno Morão, membre de l’ensemble Instable, est très investi dans la musique électronique, notamment avec son compatriote lusitanien Travassos.

Ne nous y trompons pas : The Selva n’est pas l’union de trois outsiders. C’est la construction patiente, charnelle et organique d’une recherche de mimétisme entre les cordes et les peaux dans une suite improvisée en neuf parties, comme autant de clairières plus ou moins dégagées dans une forêt dense et foncièrement hostile. En témoigne la lumière éclatante de « V » en opposition aux ténèbres perçues dans « VIII », tout en sifflements brumeux et inquiétants. La métaphore végétale n’est pas fortuite ; l’album de Jacinto avec Luis Lopes s’appelait Gardens. Selva en portugais signifie jungle. Un postulat plus touffu qui s’accommode à merveille des échanges parfois tendus entre violoncelle et contrebasse.

Les morceaux sont courts, comme pour mieux encore illustrer le bras de fer, mais deux morceaux d’une dizaine de minutes permettent d’approfondir la plongée dans un bosquet de ronces : « VII » le titre le plus sombre, est l’occasion de se perdre totalement, entre les pizzicati et les frappes qui viennent les souligner dans une belle progression collective. The Selva est avant tout une histoire d’équilibre. Il est parfois ténu entre les cordes, notamment lorsque les archets prennent le dessus (« VIII »). Il peut être remis en cause lorsque Jacinto prend l’initiative de manière très aventureuse à l’archet (« II »). Mais globalement, le trio s’appuie sur le travail discret de Morão, véritable centre physique d’un orchestre à l’entropie galopante qui nous propose, sur le label Clean Feed, une exploration très intense.