Chronique

The Very Big Experimental Toubifri Orchestra

Waiting In The Toaster

Label / Distribution : Label Bleu

A la vingt-cinquième seconde, les zygomatiques commencent à vous démanger. A la quarantième, votre jambe gauche marque le beat sans que vous lui ayez rien demandé. A la première minute, des références vous traversent la tête, d’une oreille à l’autre, en formation serrée et à grande vitesse. Premier degré : cinémascope, western avec ou sans spaghetti, MGM et Paramount. Second degré : comme un rejeton du Sacre du Tympan période « Le Retour » et du Jus de Bocse version Résolution Collignon - un rejeton adultérin et du genre turbulent.

Mais nous n’en sommes qu’à trois minutes d’écoute. Autant vous prévenir tout de suite : le premier album du Very Big (pour les intimes) commence fort, mais il continue tout pareil. Ce melting-pot trépidant et jubilatoire, qui doit autant à Frank Zappa et Marin Marais [1] qu’à Spike Jones, Marcel Gotlib, Meshuggah et au Mahâbhârata, manifeste une nette tendance à s’incruster dans votre lecteur audio.

Un album tout cousu de références, de citations plus ou moins apocryphes, de pastiches bien salés, de fertiles allusions, mais qui les enchaîne/déchaîne avec une allégresse ra(va)geuse et nous fait sauter à la figure, comme propulsée par un grille-pain sous speed, une tartine d’énergie, un concentré d’élan vital. On retrouve dans ce grand ensemble (dix-huit musiciens sans compter les invités) tout ce qu’on aime chez son leader Grégoire Gensse et qui agace tant les gens graves : cette façon de faire cohabiter un travail de composition et d’orchestration chiadé avec une insolence de gamin effronté, un goût de la provoc gouailleuse qui en font un petit frère (très) spirituel de Médéric Collignon (d’ailleurs invité ici) et de Loïc Lantoine, et en même temps cette opiniâtreté qui a fait de lui l’un des meilleurs connaisseurs français de la musique indonésienne en même temps que le propulseur d’un nombre impressionnant de projets hauts en saveur : duo orTie, Casio Show, KoBaGi, collaborations avec le Cirque Plume

La musique balinaise, on la retrouve dans le goût des ostinatos répétés jusqu’à la transe (« Newton Theorie », « Satu Hari », « Toubifri Suite partie 3 »), des cellules rythmiques qui circulent à travers l’orchestre, et d’une façon plus large dans l’orchestration avec un point culminant dans le début de « Cinderella » où instrumentistes et choristes utilisés à la manière d’un gamelan produisent un tintamarre aux couleurs pastel.

Toute cette belle agitation juvénile ne serait pas complète sans les quelques cristaux qu’elle renferme. La nostalgie de « Satu Hari ». La clarinette qui émerge au milieu de « Toubifri suite partie 2 » comme une Vénus sortie des eaux pour chanter un sinueux duo avec le silence du vibraphone qu’elle défie, provoque, somme de s’expliquer. Et cette incroyable chansonnette, « The Jewish Cowboy », mixant variétoche nord-américaine, chœurs zappaïens et rap français, qui célèbre la figure de Harold Stern le « cowboy juif » de Centerville, Texas.

L’album se termine par une « Pause » de huit minutes. Ne vous y fiez pas : rien ici n’est ce qu’il semble être et la pause, en son milieu, nous renvoie à Bali… comme si vous la visitiez en compagnie de Steve Reich. On y va ?

par Diane Gastellu // Publié le 1er novembre 2015

[1L’ostinato de « Satu Hari », quatrième titre de l’album, est une phrase musicale du « Badinage ».