Chronique

Loïc Lantoine & The Very Big Experimental Toubifri Orchestra

Nous

Label / Distribution : Irfan, le label

Depuis le mois d’avril 2016, on le sait, il y a un grand trou dans la musique. Ce gouffre, le voilà mis en disque. Un double, un maousse, gros comme le cœur de dix-neuf allumés qui continuent à jouer pourtant ; avec un livret gros comme ça, gros comme on en a sur la patate. Un livret avec un grand trou bleu au milieu, et des étoiles, et autour, plein de choses brillantes, drôles, tristes, tendres, poignantes, et des qu’y a même pas de nom pour ça, sauf humain. C’est bien, humain. On n’a pas mieux.

Loïc Lantoine, l’inventeur (?) de la « chanson pas chantée », celui qui clame « j’suis mauvais musicien mais j’aime l’harmonie » (« Toubitoine ») et Grégoire Gensse, auteur entre plein d’autres gemmes de « C’est rien, c’est la fatigue » [1] devaient se rencontrer, c’était écrit. Ils en ont eu le temps avant que Grégoire ne reparte pour le pays des Enfants perdus, et pour notre bonheur ils ont fait des petits. Et quels petits.

Moitié studio, moitié live. Le live, enregistré entre octobre 2015 et décembre 2016, plein des hanhons françaises d’avant le Toubifri, mais réarrangées pour le Toubifri, avec douze merveilles comme « L’Averse » ou « La Nouvelle ». Le CD studio, enregistré en avril 2017, avec treize nouveautés dont le texte vous est gracieusement offert dans le livret dont on parlait plus haut. Composées et arrangées par dix des membres du groupe (j’ai recompté) dans cette veine un peu fanfare, un peu musique de cirque, un peu cartoon, un peu contemporain, un peu kecak balinais, un peu rien de tout ça mais balèze de toute façon, et ce n’est peut-être pas du jazz, je veux bien, mais alors dites-moi ce que c’est.

La (grande) nouvelle, c’est que la musique et les textes s’épaulent, se confortent, se catalysent et qu’ensemble ils vous tourneboulent l’auditeur comme personne. Le slam rauque et rock du chtit gars d’Armentières et la spirale scintillante des musiciens lyonnais, les mandalas musicaux chtarbés, les embardées, les pochettes-surprises, bref, tout le formidable fatras foutraque de M. Gensse et ses acolytes, tout cela réuni nous embarque dans leurs épousailles fraternelles, généreuses et déchirées qui sentent et chantent les soirs de débine (« L’eau thermale ») et les dimanches entre foot et gueuletons (« C’est pour ça »), les vies cabossées et la grosse bête immonde, immonde (« Un hommage », « Ne te méfie pas »), le grand amour au quotidien (« Le Cheveu blanc », « Tu me vieux ») et la perte d’un ami qui vous fracasse. La vie, quoi, telle qu’elle est, et telle qu’on l’aime quand même, envers et contre tout. Cette machine-là, comme la guitare de Guthrie, tue les fascistes. Dans l’œuf, c’est mieux.

Et tout du long, au milieu du vide bleu du livret comme dans toute la musique et tous les mots qu’il y a autour, l’étoile brille. Veille. Clignote. Comme clignotent nos yeux quand on écoute « Poison d’avril » [2].

Après, il y a sûrement des gens qui n’aimeront pas. C’est rien, c’est juste qu’on n’a pas le cœur à la même place.

par Diane Gastellu // Publié le 14 janvier 2018
P.-S. :

Mélissa Acchiardi : vibraphone, Lionel Aubernon : percussions, Stéphanie Aurières : sax baryton, Aloïs Benoit : trombone, Félicien Bouchot : trompette, Mathilde Bouillot : flûte, Thibaut Fontana : sax ténor, Grégoire Gensse : piano, Lucas Hercberg : guitare basse, Grégory Julliard : trombone, Loïc Lantoine : chant, Emanuelle Legros : trompette, Antoine Mermet : sax alto, François Mignot : guitare, Yannick Narejos : sax ténor, benjamin Nid : sax alto, Élodie Pasquier : clarinette, Alice Perret : piano, Yannick Pirri, trompette, Corentin Quemener : batterie.

[1Sur l’album d’orTie : le titre est une citation de « La Nouvelle » de Lantoine, vous suivez ?

[2Musique d’Élodie Pasquier.