Scènes

Errobiko Festibala : de 2015 à 2016

2015 : Errobiko Festibala occupait pour la vingtième fois le village d’Itxassou. Retour sur une édition haute en couleur(s)... et perspectives pour 2016.


Année après année, Errobiko Festibala démontre qu’il est possible de vivre d’art sans se vendre aux marchands de boissons pétillantes. De marier divertissement, réflexion et recherche, de conjuguer convivialité et exigence, d’entrecroiser les formes et les disciplines artistiques en attirant un public à la fois local et national ; bref, de faire aimer ce que l’on aime sans élitisme ni ghettoïsation. De la vingtième édition à la vingtième année révolue, retour sur une période charnière.

Non, je ne citerai pas Nizan. Le plus bel âge de la vie, pour Errobiko Festibala, c’est tous les ans. Et pour longtemps j’espère.

Vingt ans, c’est très jeune et c’est déjà long pour un événement artistique. Les fondateurs regardent le chemin parcouru et leurs têtes qui grisonnent, et se disent qu’il faut préparer l’avenir. Ce souci de transmission, toujours présent à Errobiko, est particulièrement prégnant en cette vingtième édition dans les discours et les débats : le chiffre rond sonne comme une échéance, une étape, un carrefour. La bonne nouvelle, c’est que la relève se prépare ; mieux : elle est préparée.

Errobiko Festibala, on vous l’a dit, est un festival militant. Militant pour la présence des arts dans le quotidien, militant de la mémoire agissante et des luttes émancipatrices. Vous avez remarqué ? Il n’est, à travers les époques, aucun combat libérateur qui ne se soit doté de ses expressions artistiques. Littérature, arts plastiques, musique, danse, théâtre : l’art donne une voix à l’esprit du peuple et en porte haut l’expression.
L’industrie, elle, roule pour les puissants ; même - ou surtout - quand elle se prétend culturelle, voire quand elle se prend pour la Culture avec un grand Cu.

Errobiko Festibala n’est donc pas un chapelet de vains divertissements mais un véritable parcours construit autour de la convergence des arts et des cultures - avec un petit c, pour rester à hauteur d’humain.

Trois conférences-spectacles jalonnent la programmation comme autant de « mises en jambes » quotidiennes sur un thème unique : la création, produit de haute nécessité. [1] Les intervenants, nombreux et de tous horizons expressifs : télé, écrit, musique... sont unanimes : il faut tout faire pour que chacun, quelles que soient ses origines et sa classe sociale, se sente le droit de créer ou, à tout le moins, de côtoyer les arts. Appropriation des moyens de création qui n’est possible qu’en ouvrant toutes grandes les portes, ce que font la revue Hau, accessible à tous sans comité de rédaction ni ligne éditoriale, ou l’association « Les Arts Improvisés », créée par Camel Zekri dans son village de l’Orne.

Erwan Keravec au Pré des artistes
© D. Gastellu

Sur le pré d’Atharri, devant la salle où se jouent les concerts du soir, la bibliothèque nomade fait la sieste, offrant à qui veut la littérature, la philosophie, les sciences, le voyage.
Juste à côté, sous le figuier, le Café Zabalik où, chaque après-midi, on lit à voix haute. Pas des comédiens autorisés : tout le monde, vous et moi, comme nous l’entendons, dans la langue que l’on veut, avec un bouquin, un bout de papier, un texte que l’on sait par cœur ou que l’on improvise.

Non loin de là, l’Itinérance des Lieux-dits propose de courts instants d’art inscrits dans la géographie locale. La promenade dans les bois n’est pas un « menu-enfant » mais un éveil au beau, à la nature, à l’insolite, à la drôlerie.

Le Pré des Artistes, sous chapiteau, abolit les hiérarchies en mêlant musiciens internationaux et jeunes pousses, en grignotant les frontières stylistiques. Des fois c’est formidable, des fois ça tâtonne, c’est le jeu : essai-erreur-réussite. Vous ne voyez pas tout, c’est le jeu : plusieurs choses en même temps, le hasard vous mène vers les uns ou les autres. On a remarqué cette année - mais on n’a pas tout écouté, car il faudrait se couper en plusieurs - Bengalifère trio, dont il a déjà été question dans ces colonnes : un ensemble en perpétuelle mutation à suivre absolument [2], mais qui nous a paru un peu déstabilisé sur ce concert précis. Zanmari Baré et son maloya encore un peu vert mais poétique. Cocanha, trio de chanteuses espiègles qui revisitent les traditionnels occitans avec un charme piquant... Neptune Chapotin et ses étonnantes guimbardes du monde entier dont il joue comme personne. Il donnera d’ailleurs, le dernier soir, un très surprenant duo avec Beñat Achiary.

Les concerts du soir, à Atharri, participent du même mixage. Générationnel, culturel, stylistique. Trois plateaux par soirée : ça commence vers 21 heures, ça se termine... tard. Voire très tôt. Julen Axiari et Maddi Oihenart ouvrent la soirée de jeudi avec un duo de chants en langue basque -antiques et modernes- puis laissent place à un plateau entièrement nu où Niño de Elche et Raúl Cantizano, qui nous avaient laissés ébaudis il y a deux ans, récidivent en compagnie de l’époustouflante danseuse Chloé Brûlé. Après le protest-flamenco de 2013, c’est cette année un spectacle totalement nouveau, aussi visuel que musical... et drôle, où l’absurde croise la dérision. Flamenco déconstruit, moléculaire, sous influence de Clash, Pina Bausch et Buster Keaton et qui déchaîne, une fois de plus, l’enthousiasme d’une salle chavirée de rire et de plaisir.

Raúl Cantizano, Chloé Brûlé, Niño de Elche
© D. Gastellu

On a remarqué aussi San Salvador, un étonnant sextet armé de ses seules voix et de quelques percussions, qui donne un sacré coup de jeune au répertoire traditionnel occitan et corrézien. Où l’on (re)découvre que les vieilles scies de par ici, avant de prendre les atours gnan-gnan du folklore à papa, ont commencé par faire danser des jeunes gens, pas moins furieux que ceux d’aujourd’hui, et qu’elles ont encore ça dans les veines, pour peu qu’on aille les titiller... notez bien leur nom [3].

L’Emile Parisien Quartet, avec à la batterie un Julien Loutelier foisonnant, a pâti d’une acoustique manquant de définition mais a donné un concert fiévreux, engagé, tout à la joie de l’interplay, passant en revue dans le désordre les titres de l’album Spezial Snack entre effervescence et esprit cartoonesque, jouant sur les codes et les langages musicaux. A la fin, on se sent un peu comme au bout d’un long voyage. Retour des pieds sur terre, sans brutalité mais avec quelque difficulté à se rebrancher au monde réel.

Juste avant, un duo de Beñat Achiary et Didier Lasserre, le premier lyrique et profus, le second dans l’épure. Lasserre n’accompagne pas, il ne souligne pas : il discute, conteste, presse, contredit, enchérit, escorte, complète ; il donne sa version mais ne commente pas, ne paraphrase jamais. Achiary se lance dans un morceau ternaire, très rapide : Lasserre se tapit sans jouer, attend son heure. Quand le chanteur se tait, il entre. Quelque chose en suspension dans l’air, économie d’effets. Puis cela remonte, unisson sur un arin-arin sauvage. C’est la voix qui donne le rythme : le batteur définit l’espace. Tout l’art du duo est précisément dans l’opposition : celui-ci atteint des niveaux stratosphériques.

Les Perceurs de Pierre de Biscaye et Nicolas Nageotte
© D. Gastellu 2015

Le festival se clôt - en ce qui concerne les concerts - dans un surprenant hommage au monde ouvrier et aux jeux de force : scène partagée entre trois musiciens, Julen Axiari, Ibai Indart et Nicolas Nageotte, et deux équipes de Mineurs de Biscaye - sportifs et sportives qui pratiquent le perçage de pierres à la barre à mine à la seule force des bras, rien que ça. Ah, oui, ensuite il y avait un ensemble espagnol dansant, Coetus. Il fut interruptus en ce qui me concerne, et je suis sortie pour attendre les txalapartak et les feux d’artifice de Paskal Indo, très tard, sur le pré mangé par la nuit.

Errobiko 2015 a vécu, Errobiko 2016 est en gestation. Mais j’aimerais vous dire un mot du petit frère : les Ethiopiques de Bayonne, organisé par la même équipe de rêveurs en action, l’association Ezkandrai. Au mois d’avril, chaque année, c’est un peu comme les « refêtes » du Sud-Ouest, ces fêtes hors saison qui célèbrent le retour du printemps. Lieu de rencontre des arts comme l’est le festival d’été, les Ethiopiques rassemblent écrivains, cinéastes, photographes, peintres, plasticiens, danseurs et musiciens, et enchantent la vieille ville de Bayonne l’espace de trois jours.

Errobiko Festibala 2016 ? C’est pour bientôt. La programmation n’est pas encore publiée. Il paraît même qu’elle n’est pas tout à fait bouclée. On chuchote des choses. On dit qu’un grand musicien réunionnais pourrait revenir. Mais chut. Rien n’est sûr, et j’ai promis de ne rien révéler.

par Diane Gastellu // Publié le 29 mai 2016

[1L’expression est empruntée, vous l’aurez compris, au Manifeste pour des Produits de Haute Nécessité publié en 2009 par neuf intellectuels antillais dont Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, émanation littéraire et intellectuelle du mouvement populaire déclenché en Guadeloupe et Martinique par Lyannaj kont pwofitasyon.

[2Le premier album de Bengalifère est paru chez Hôte Marge en 2014.

[3Un album est sur le point de paraître, à commander sur leur site.