Scènes

Erik Truffaz fait son cinéma

Nancy Jazz Pulsations fête ses 50 ans # Chapitre I – Salle Poirel, mercredi 11 octobre – Sesam / Erik Truffaz.


Erik Truffaz © Jacky Joannès

Après les premières festivités du week-end sous la forme du désormais traditionnel Nancy Jazz Poursuite, avec ses multiples concerts dans les bars de la ville samedi soir et un grand rendez-vous Place Carrière dimanche, c’est la première grande soirée de Nancy Jazz Pulsations. Un programme très électrique pour lancer une édition pas comme les autres puisque le festival, rappelons-le, fête ses 50 ans cette année.

C’est désormais un rituel : pour lancer NJP, son directeur, le jeune et souriant Thibaud Rolland, monte sur scène afin de déclarer l’édition ouverte. Il y a chez lui de l’émotion et du plaisir, en particulier lorsqu’il fait le constat d’une salle Poirel pleine et d’un public déjà enthousiaste. Un départ encourageant donc, avant que les protagonistes de cette première soirée ne fassent très vite monter la température.

Sesam © Jacky Joannès

Les Messins de Sesam sont cinq sur scène, dans une formation électrique qui ne peut renier l’héritage – parmi d’autres – du Miles Davis électrique, de In A Silent Way jusqu’à sa période funk. Sélectionné par les INOUÏS du Printemps de Bourges, le groupe s’est fait remarquer par un premier disque d’excellente facture (Modern Voodoo) et ne manque pas l’occasion de faire valoir des qualités propres dont la moindre n’est pas une réelle capacité à aborder la musique comme un laboratoire. Rien ne semble figé, comme si la musique s’élaborait dans un long flux presque continu. S’appuyant sur un trio guitare / basse / batterie [1] puissant et n’hésitant pas à occuper pleinement l’espace sonore disponible, Sesam sait dilater le temps, le suspendre avant d’avancer en force. Mathis Klaine (qui vient de publier sous son nom un très beau disque, Odissey, dont on reparlera) fait corps avec ses claviers dont il sature le son et s’avère excellent dans le modelage de textures aux couleurs spatiales. Face à lui, adoptant parfois une gestuelle qui n’est pas sans évoquer les poses singulières d’un Émile Parisien, Marc Stehlin fait preuve d’une vraie présence scénique. Les éclats de sa trompette sonnent comme des coups de semonce et on découvre chez lui, durant la dernière partie du concert, un vocaliste très habité, avec un chant oscillant entre scansion parlée et cris extatiques. Il y a beaucoup de promesses chez Sesam : les quelques flottements dans l’agencement des compositions ne sont que détails au regard d’une volonté de défricher un terrain qui reste à explorer. Leur fusion de jazz et de rock est un vrai déferlement. On attend la suite !

Erik Truffaz © Jacky Joannès

Erik Truffaz se sent à l’aise. Pieds nus, entouré d’une garde sans faille, le trompettiste va dérouler pour l’essentiel (et le plaisir du public qui lui est acquis) une bonne partie de la musique issue de ses deux derniers disques consacrés aux musiques de films [i]. Au passage, soulignons ici son message de paix bienvenu en nos temps troublés par la « toxicité des humains ». Poussé par une rythmique qu’il définit lui-même comme féline (Raphaël Chassin à la batterie et Marcello Giuliani à la basse) et qui tourne comme une horloge, Truffaz s’engouffre avec gourmandise dans le grand livre du cinéma des années 60 et 70 qu’il aime et va feuilletter les pages d’une histoire plus longue encore que celle de NJP : Nino Rota, Ennio Morricone, Georges Delerue, Michel Magne, Serge Gainsbourg, Michel Colombier, John Barry… On se prend au jeu consistant à reconnaître les thèmes originaux dont la trame mélodique est préservée, mais parfois malicieusement cachée avant son exposition. Le groupe, véritable assurance groove au sein duquel la guitare de Matthis Pascaud et les claviers d’Alexis Anérilles font merveille, n’aime rien tant que de bousculer les tempos et d’agencer de nouveaux climats. Mais on finit toujours par s’y retrouver. Erik Truffaz occupe certes le devant de la scène, il est bien le moteur – avec un son droit et impérieux, passant de l’appel vibrant à la douceur en toute fluidité – mais ne domine en rien le collectif. Le plaisir est au rendez-vous pour tous, avec un répertoire aux couleurs d’un jazz rock énergique dont on comprend vite la dimension intergénérationnelle. Et puis, comment ne pas saluer comme il le mérite celui qui n’hésite pas à convoquer en un double rappel Les vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati et Les tontons flingueurs de Georges Lautner ? Pour cette seule raison, le trompettiste mérite notre reconnaissance éternelle !

NJP 2023, une histoire à suivre très vite…