Scènes

À la source du jazz avec Kenny Barron

Nancy Jazz Pulsations fête ses 50 ans # Chapitre III – Opéra National de Lorraine, samedi 14 octobre – Kenny Barron.


Kenny Barron © Jacky Joannès

Il est entré sur scène avec une discrétion féline, soulevant à peine le lourd rideau rouge de l’Opéra National de Lorraine pour se tenir debout près du piano et saluer le public auquel il veut dire sa joie. Voilà en effet sept ans que NJP avait invité Kenny Barron pour la dernière fois : c’était au mois d’octobre 2016 au Théâtre de la Manufacture. Le pianiste était venu se produire en trio, ce dont nous avions rendu compte ici-même. Cette fois, il est seul au piano, face à sa propre histoire.

Celui qui s’est fait connaître en jouant dans le quartet de Dizzy Gillespie dans les années 60 a aujourd’hui 80 ans. Le pianiste de Philadelphie est de ceux, désormais rares, qui portent en eux la mémoire du jazz au XXe siècle. Il serait quasi impossible d’établir la liste de ses collaborations au fil d’une carrière prestigieuse que sa discographie, plutôt volumineuse (une cinquantaine d’albums), permet de retracer fidèlement. Mais tout de même : Freddie Hubbard, Ornette Coleman, Ron Carter par exemple ; sans oublier Stan Getz, qu’il aura accompagné lors de ses derniers concerts, ce dont rend magnifiquement compte l’album People Time enregistré trois mois avant la mort du saxophoniste et qui a fait l’objet d’une réédition sous la forme d’un coffret à la fin des années 2000.

Ce soir à l’Opéra de Nancy, il y a comme du recueillement dans l’air. Le cadre prestigieux de la salle amplifie sans doute ce sentiment d’une intériorité du répertoire que Kenny Barron va déployer durant soixante-quinze minutes, convoquant différents standards (tel « Surrey With The The Fringe On Top » de la comédie musicale Oklahoma), sollicitant Thelonious Monk (« Shuffle Boyle »), le maître Bud Powell (« Budlike ») ou encore Duke Ellington et Billy Strayhorn pour un medley de quatre ballades. Kenny Barron ira de sa propre composition à la tonalité intimiste, « Lullaby ».

Kenny Barron © Jacky Joannès

Ce qui frappe à l’écoute – très attentive – de cette musique est une forme d’évidence qui vous embarque dès les premières secondes et vous tient en haleine jusqu’au bout. Le mot suspension pourrait être la bonne traduction de l’état qui vous gagne en ces instants. Ce concert a de faux airs de méditation pour Kenny Barron, dont chaque interprétation est une narration amoureuse qui dit l’essence du jazz. Tout cela semble si simple : l’exposition d’un thème avant l’escapade vers les chemins buissonniers de l’improvisation et le retour à la mélodie initiale. Classicisme ? Oui, sans doute, mais d’une profonde beauté, dépourvue du moindre effet démonstratif. Ce qu’on peut retrouver dans le récent album live en solo de Kenny Barron, tout simplement intitulé The Source. Un titre qu’on comprend encore mieux lors de l’unique rappel – décidément, tout cela est passé bien trop vite – habité du blues des origines. Un grand monsieur est passé à Nancy.

NJP 2023, une histoire à suivre très vite…