Chronique

Erroll Garner

Concert by the sea

Erroll Garner (p), Eddie Calhoun (b), Denzil DaCosta Best (dr).

Label / Distribution : Columbia Jazz / Sony

L’un des premiers disques de jazz que je n’ai jamais rendu à mon père est le Concert by the Sea d’Erroll Garner, un concert enregistré à la sauvette par un amateur le 19 septembre 1955. Piano désaccordé, mixage inexistant… j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un solo de piano, alors que c’est un classique trio piano/ contrebasse/ batterie. Il faut dire qu’Erroll Garner laisse bien peu de place à Eddie Calhoun et Denzil DeCosta Best ; pas un solo, pas une attaque, rien qu’une continuelle cascade noire et blanche. Je l’écoutais sur un walkman pendant la récréation, un écouteur dans mon oreille, l’autre dans l’oreille de l’amie avec qui j’allais de temps en temps écouter Patricia Barber ou Archie Shepp. De récréation en récréation, ce disque est devenu ma madeleine. Les autres écoutaient du death metal et du hard rock, moi je détenais le secret du swing. Erroll Garner me l’avait confié. Avec lui, j’appris « Autumn Leaves », « April in Paris », « Teach Me Tonight »… dont Blossom Dearie me susurra les paroles aux récréations de l’année suivante. L’œil étincelant, Garner distribuait ses rivières de diamants comme si de rien n’était. Il aurait pu séduire l’école entière, comme il avait séduit ce jour-là — ses cris le prouvaient — l’audience de Carmel, Californie. Lui-même séduit en retour, il leur a donné un morceau qu’il peaufinait depuis quelques temps et qui ne portait pas encore de nom, « Mambo Carmel », une danse improvisée aux chauds accents latins.

Soixante ans plus tard, le concert est édité pour la première fois dans sa version originale : le concert en entier, soit le double de titres. Toujours des standards, et toujours la même joie, la même ferveur, la même jubilation. Bref, toujours un chef d’œuvre.