Chronique

Joce Mienniel

The Dreamer

Joce Mienniel (fl, elec, fx, voc), Vincent Lafont (cla, elec, fx), Maxime Delpierre (g), Sébastien Brun (dms, elec, fx, voc)

Label / Distribution : Drugstore Malone

Quelques années après Babel qui célébrait le goût très fort du flûtiste Joce Mienniel pour les sons du Monde et l’ethnomusicologie [1], un petit retour en arrière s’impose ; davantage un besoin de se ressourcer aux origines qu’un bête repli, mais avant tout le plaisir de rejouer dans un quartet avec qui il avait fait Tilt, à commencer par les claviers de Vincent Lafont et la batterie de Sébastien Brun qui aime se farder d’électronique. On retrouve, dans The Dreamer, un découpage en pièces, en petites histoires ou climats, comme un recueil de nouvelles. Tilt incarnait la Ville, sa chaleur, sa trépidation. The Dreamer est plus abstrait, du fait de son carburant propre : des songes mis en musiques, qui permettent à la flûte d’évoluer avec une grande légèreté, d’autant que la guitare de Maxime Delpierre apporte un son pop très volontaire qui sied parfaitement à l’envie de Mienniel. « Two Tiny Black Eyes » est ainsi un morceau labyrinthique et un brin angoissant, comme un étau qui se resserre.

C’est intime, les rêves. Forcément, en pénétrant dans ceux de Mienniel, qu’il chante en anglais avec une voix assez travaillée, on franchit également une porte qui mène à un jardin secret. Un lieu assez fleuri mais qui n’a pas peur du noir ou d’un pastel aux teintes électriques qui fera de loin en loin songer à quelques chimères électroniques du siècle passé (« Nude Was The Color of my Innocence »). Ce ne sera guère une surprise : à regarder le catalogue de son label Drugstore Malone, on constate que les germes sont là depuis longtemps, avec un vrai goût pour l’image et l’écriture cinématographique. L’Encodeur date de 2015, Tilt avait également une démarche similaire. Ici, le recours à la voix offre une dimension supplémentaire et fait voyager dans toutes les musiques qui ont influencé le flûtiste. On entend quelques sons de Canterbury, notamment lorsque Lafont tâte de l’orgue, mais aussi quelques soupçons de Krautrock, singulièrement dans la seconde partie de « Tiny Black Eyes » qui, sur une batterie puissante, plonge même quelques instants dans une atmosphère New Wave plus allusive que directe, qui laisse peu de doutes sur les affinités électives adolescentes du jeune Mienniel.

Ce n’est pas un caprice, pas davantage la volonté d’aller dans une gamme plus sucrée ; la plupart des morceaux révèle une profondeur d’écriture qui permet beaucoup de relief. Mais surtout, The Dreamer est l’occasion pour Mienniel, réputé discret et taiseux, de fendre réellement l’armure, de se raconter en parlant de rêves, sans chercher les détours ou les faux-semblants. Le quartet incarne un foisonnant narrateur, qui peut même aller chercher des ambiances dures et fiévreuses : ainsi de cet « Appartement 643 » qu’on imagine comme le centre névralgique de l’ensemble de l’album et qui se termine sur une courte incursion clin d’œil dans un rêve du Sergent Poivre. Grâce à The Dreamer on découvre une nouvelle facette assez séduisante de Joce Mienniel qui annonce, à n’en pas douter, moult hybridations à venir.