Scènes

L’AMR fête ses 50 ans avec éclat

Cette année, l’ouverture de la nouvelle saison de l’AMR avait une saveur particulière.


Gerry Hemingway & Urs Leimgruber © Mario Borroni

L’AMR (Association pour la Musique de Recherche), qui allait devenir plus tard l’Association pour l’encouragement de la Musique impRovisée, est née à Genève le 29 janvier 1973. Le journal Viva la Musica démarre sa longue carrière trois ans plus tard et le 11 septembre 1981, le local situé au 10 rue des Alpes prend le nom de Sud des Alpes. Cette bâtisse, devenue une institution genevoise, est restaurée en 1997 avec l’apport artistique de Georges Schwizgebel pour la façade. En 2006, l’agrandissement du Sud des Alpes bénéficie d’une extension sur le passage Thalberg, rebaptisé pour l’occasion « Passage Mingus ».

Chaque année, l’association programme plus de 200 concerts ainsi que deux festivals. Pour le cinquantenaire de l’AMR, cette nouvelle saison s’ouvre avec une exposition rétrospective, une table ronde sur le thème du ralentissement des tournées et deux concerts. Ceux-ci ont permis d’entendre deux formations inventives, à l’image de l’historique de l’AMR.

Jacques Demierre ® Mario Borroni

Samedi 16 septembre, The Five ouvre les festivités. Le laboratoire dans lequel évoluent les cinq musiciens s’engage dans des sinuosités qui visent toutes la recherche sonore. Le télescopage entre les notes balayées par Jacques Demierre sur les cordes de l’épinette et les sons sculptés par Thomas Lehn sur son séquenceur monophonique EMS Synthi AKS provoque des fulgurations soniques inédites. Toutes ces variations d’intensité permettent à Gerry Hemingway de relancer habilement le puissant maelström pendant qu’Hans-Peter Pfammatter déverse des formes rythmiques hardies avec son piano préparé. C’est Urs Leimgruber qui se charge de renverser ces empilements successifs. Son jeu au saxophone soprano tend vers l’épure et l’étirement de ses notes lui donne l’occasion d’infléchir les cheminements orchestraux. Ce concert, où le silence s’est immiscé entre les diverses séquences, a sublimé l’avant-garde.

Dimanche 17 septembre, la salle est comble pour le concert du quartet d’Alexander von Schlippenbach au piano et Barry Altschul à la batterie. Ces deux légendes du jazz des seventies se sont adjoint les services de Joe Fonda à la contrebasse et Rudi Mahall aux clarinettes.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la musique proposée ce soir comble le public : tous les aspects les plus évolutifs du jazz sont énoncés. Les thèmes se renouvèlent avec aisance. Si le free jazz est quelquefois incompris du fait de ses complexités harmoniques ou de ses débordements structurels, il est important de se confronter au récit de ses protagonistes en direct. Les disques ne sont pas toujours en mesure de restituer l’effervescence déployée par des artistes engagés, d’où l’importance de palper les vibrations restituées sur scène par ces quatre musiciens.
L’énergie déployée au sein des interactions est d’une inventivité phénoménale, la musique improvisée nous offre alors le meilleur d’elle-même.

Alexander von Schlippenbach, Rudi Mahall, Joe Fonda © Mario Borroni

Alexander von Schlippenbach, courbé sur son clavier, n’est jamais dans le démonstratif ; il utilise la part dynamique du piano pour transmettre des block chords maîtrisés. En rythmicien accompli, il exprime sa capacité à explorer les couleurs harmoniques. Il y du Monk en lui, et une réactivité aux changements de tonalités qui nous rappelle quel grand orchestrateur il est. Son alter ego Barry Altschul, tout juste octogénaire, joue sur une batterie réduite à sa plus simple expression, une démonstration de vigueur et de flexibilité. Joe Fonda engage une lutte avec sa contrebasse, ne cédant pas un pouce de terrain à ses collègues, il rend son jeu le plus versatile possible.
Mais le catalyseur débordant de fougue et de lyrisme exacerbé est bien Rudi Mahall. Il voue un amour sans borne à l’histoire du jazz et ne se limite pas à un discours attendu. Les cases où certains voudraient l’enfermer volent en éclats. Sa manière de sublimer les phrasés aux clarinettes, en révélant tout ce qu’un instrument peut féconder, suscite l’émerveillement. C’est la liesse communicative de Louis Armstrong connectée aux expérimentations d’Eric Dolphy ! Les pas de danse qui font partie de la personnalité de Rudi Mahall transportent le public dans des contrées homériques.

Placée sous le signe de la Culture et du développement collectif, cette rentrée historique de l’AMR est fidèle à son histoire riche en partages. Anne Fatout, chargée de la communication, peut avoir le sourire : la vitalité de l’association est intacte. Rendez-vous pris dans 50 ans.