Scènes

Weare4, nous sommes pour !

Vendredi 7 juin 2019, Marly Jazz Festival. Grégory Ott Trio, WEARE4.


Weare4 © Jacky Joannès

Deuxième soirée pour l’édition 2019 du Marly Jazz Festival et une fois encore une volonté de décloisonnement. Le pianiste Grégory Ott aura su mettre en évidence ses qualités de mélodiste et la force tranquille des membres de son trio. Et grâce à WEARE4, le public aura reçu une belle leçon de groove et, pour une grande partie d’entre lui, découvert une forte personnalité en la personne du chanteur Sly Johnson.

Pour commencer la soirée, c’est – j’avoue cette lacune – la découverte pour moi d’un pianiste strasbourgeois, Grégory Ott, dont le trio existe depuis une quinzaine d’années et qui a récemment publié un album (son quatrième) intitulé Ways. Avec lui et depuis l’origine de cette formation, le batteur Matthieu Zirn. Et récemment, c’est un Lorrain qui a fait son entrée au sein du trio en la personne du contrebassiste Gautier Laurent.

La formule piano contrebasse batterie étant sans doute la plus répandue dans l’histoire du jazz, on comprend qu’il n’est pas aisé de s’y faire une place, eu égard aux grands noms qu’elle évoque. Grégory Ott ne l’ignore sans doute pas. De même qu’il sait ce qu’il doit à Michel Petrucciani, auquel il rendra hommage en rappel avec une composition intitulée « The Giant ». Chez lui, c’est le principe mélodique qui compte avant tout, on ressent son désir de faire chanter sa musique et d’inviter le public à se laisser prendre dans ses filets. Ses partenaires allient l’un comme l’autre force et discrétion – le trio n’est pas affaire de gros bras mais plutôt de gentlemen – pour souligner avec une souplesse rassurante le lyrisme des compositions. La tentation est forte de chercher des références. Dans la période récente, on pense parfois à d’autres trios, comme celui du regretté Esbjörn Svensson quand la musique monte en tension ou à The Bad Plus lorsque les thèmes ont des atours plus pop. Et puis on se dit que Grégory Ott raconte sa propre histoire et que son jeu parvient à mettre en lumière une vibration personnelle exposée avec beaucoup de sincérité. Pour cette seule raison, il faut le remercier.

Grégory Ott Trio © Jacky Joannès

Le concert de WEARE4 aura été pour Patrice Winzenrieth la source de quelques sueurs froides. Il y a d’abord la défection – bien malgré lui – de Laurent De Wilde qui ne pourra être aux commandes de son Fender Rhodes. Et puis les problèmes de transport, le retard des musiciens… Des impondérables que tout organisateur de manifestation publique connaît. Mais les pièces du puzzle finissent par s’assembler et c’est avec grand plaisir qu’on retrouve Laurent Coulondre comme joker de luxe. On connaît les immenses qualités de ce pianiste toulousain et sa capacité à se fondre dans le rôle d’agenceur sonore derrière son clavier. Ouf !

WEARE4, c’est une machine à groove, à la croisée de toutes les musiques noires américaines : funk, soul music, hip hop, rap… et jazz forcément. Un cocktail détonant dont l’ingrédient principal est ce qu’on nomme le groove. Et pour servir cette cause tout en fièvre, un quatuor (le nom du groupe signifie « nous sommes quatre ») au sein duquel on identifie de fortes et singulières personnalités. Je ne reviens pas sur le talent de Laurent Coulondre, étoile montante de la scène jazz sacré « Révélation de l’année » aux Victoires du Jazz en 2016 avec son projet en trio Schizophrenia. Et qui, plus récemment, a échafaudé un Gravity Zero pour claviers et percussions dans lequel est associé, entre autres gardiens du temple percussions, un certain André Ceccarelli. « Dédé », comme on le surnomme souvent, c’est l’homme à la batterie de WEARE4. Entré dans la légende du jazz français, ce fringant septuagénaire – j’en profite pour saluer sans attendre sa tenue de scène inimitable – pourrait couler une paisible retraite bien méritée pour services rendus à la cause musicale. Eh bien non, le Niçois ne lâche pas l’affaire et poursuit sa route avec des mines de gamin toujours émoustillé par sa passion du rythme et son désir d’être là, au cœur du chaudron. André Ceccarelli, c’est l’incarnation en musique d’une forme de jubilation qui semble inépuisable. À ses côtés, on retrouve la basse de Fifi Chayeb qui a grondé depuis pas mal de temps aux côtés de Didier Lockwood, Billy Cobham, Larry Carlton ou Michel Legrand. Une sonorité terrienne associée à une rondeur rassurante : avec lui, la maison est bien tenue et son sens du collectif peut aller de pair avec quelques interventions solo où le slap n’est pas une simple démonstration technique. C’est une claque joyeuse.

Weare4 © Jacky Joannès

Et pour former un quartet, il faut un… quatrième élément. Et là, croyez-moi, WEARE4 n’est pas allé par quatre chemins en s’assurant le concours de Sly Johnson, chanteur orchestre à lui tout seul qu’on a connu par le passé au sein de Saïan Supa Crew et qui, depuis, s’est illustré avec Erik Truffaz, Rokia Traoré, Jacky Terrasson ou Oxmo Puccino. Sly Johnson – de son vrai nom Silvère Johnson – est l’attraction du groupe. Surtout, que ses trois complices ne m’en veuillent pas de présenter ainsi sa prestation. Puissance vocale, registre large et charisme scénique. Ainsi peut-on caractériser en quelques mots celui qui est aussi un virtuose du human beatboxing. Avec lui, toutes ces musiques habitées ne font plus qu’une, charnelle et généreuse. On trouve sur sa route « Afro Blue », « What’s Going On » ou « Georgia On My Mind ». Et dans un exercice solitaire de live looping, il glisse malicieusement un « My Baby Just Cares For Me » surgissant par-delà un scratch vocal qui mettra aussitôt le public dans sa poche. On me pardonnera, je l’espère, le recours à tous ces termes anglo-saxons qui ont le mérite d’aller droit au but. Tout comme WEARE4 qui sera rappelé par un public enfin enthousiaste (et beaucoup plus nombreux que la veille) dont la température a très sensiblement monté tandis que dehors, celle-ci avait subi un mouvement contraire.

La nature fait bien les choses, finalement.

Sur la platine

  • Grégory Ott Trio : Ways (Absilone - 2018)