Chronique

Rodrigo Amado

Let The Free Be Men

Rodrigo Amado (ts), Joe McPhee (as, tp), Kent Kessler (b), Chris Corsano (dms)

Label / Distribution : Trost Records

Un disque du saxophoniste lusitanien Rodrigo Amado est toujours une bonne nouvelle, même si quelques années ont passé entre sa mise en boîte et sa mise en disque ; c’est le cas de Let The Free Be Men, enregistré en 2017 et que le label autrichien Trost nous propose pour cette rentrée. Amado, aussi rugueux qu’il sait être fidèle avec les musiciens qui l’entourent, reconduit ainsi le temps d’un festival à Copenhague le quartet qui nous avait tant éblouis avec This Is Our Language, qui donne désormais son nom à l’orchestre. La densité et la puissance qui se concentrent dans « Resist ! », le premier morceau de l’album, montre que la formule reste la même : la forêt de soufflants composée de Rodrigo Amado au ténor et du si versatile Joe McPhee, brillant dans les canevas les plus inextricables, est ballottée par une base rythmique râblée. Tout va vite dans ce premier morceau, à l’opposé exact de « Let The Free Be Men », où McPhee et Amado se lovent dans la texture profonde de la contrebasse de Kent Kessler. Tout est immédiat car Chris Corsano est en feu.

Aux prémices du disques, comme plus loin lorsque la rage s’empare du morceau-titre, c’est la batterie de l’Américain, habitué aux atmosphères dures, notamment avec Akira Sakata, qui donne le ton. C’est, avec le temps, l’un des musiciens les plus proches de l’univers âpre de Rodrigo Amado. On l’avait constaté il y a quelques mois dans leur No Place to Fall commun, même si cet enregistrement datait de 2014. Cela se confirme dans le « Men is Woman is Man », où le quartet agit comme un double binôme, Kessler et McPhee jouissant d’une complémentarité évidente lorsque Corsano et Amado surgissent en même temps. On retrouve ici la dichotomie voulue dans le premier album entre canal gauche et canal droit, même si ici, elle n’est évidemment pas effective.

« Men is Woman is Man » est sans doute le plus nerveux de l’album, même s’il n’explose jamais réellement. Les slaps du saxophone d’Amado se fracassent sur l’archet de Kessler, la trompette de McPhee ponctue en petites déflagrations sporadiques ; quant à Corsano, il accompagne le mouvement sur la crête de ses cymbales. On retrouve avec Let The Free Be Men ce goût pour un free indocile et musculeux qui marque les discographies respectives des protagonistes. On n’est pas pour autant ici en présence d’une catharsis sans limite. « Never Surrender » est d’une douceur rare, Corsano jouant soudain plus en retrait pendant que McPhee s’offre beaucoup d’espace. L’engagement est total. Leur langage nous est décidément bien familier.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 novembre 2021
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