Scènes

Son nom est Personne

Échos de Nancy Jazz Pulsations # 4 – Samedi 12 octobre 2019, Chapiteau de la Pépinière – Dirty Deep / Bror Gunnar Jansson / Paul Personne / Sugaray Rayford.


Victor Sbrovazzo (Dirty Deep) © Jacky Joannès

Premier samedi de l’édition 2019 du festival : c’est le rendez-vous traditionnel avec le blues et le rock au Chapiteau de la Pépinière. Beaucoup de monde et un invité très attendu par le public : Paul Personne.

20 heures

Réchauffement climatique ou pas, il semble bien que la température soit plutôt douce ce soir. Je me souviens d’anciennes éditions de NJP, le froid dehors, les averses de neige et la soufflerie du chauffage tout au long de la soirée. Rien de tout cela aujourd’hui, le Chapiteau de la Pépinière est ouvert aux quatre vents, plein comme un œuf ; la bière coule à flots et parfois, un nuage de fumée s’échappe au-dessus des têtes, devant la scène. Un oubli sans doute. Le programme est copieux : quatre concerts qui s’enchaînent rapidement. Autant le dire tout de suite : à bien écouter les échanges autour de moi, je comprends que c’est Paul Personne qu’on attend. Moi aussi, d’ailleurs…

Annoncé en ouverture de la soirée, le chanteur passera beaucoup plus tard, après le Strasblues (qu’on me pardonne ce néologisme) des Alsaciens de Dirty Deep, un trio emmené par Victor Sbrovazzo (chant, guitare, harmonica). Leur musique est brute de décoffrage, pas d’une originalité folle mais estampillée Grand Est, notre Région bricolée à la hâte voici quelques années.

Bror Gunnar Jansson © Jacky Joannès

Cap vers le Nord ensuite pour un autre trio, celui du Suédois Bror Gunnar Jansson. Guitare et voix saturées, j’ignore si la mauvaise qualité du son est volontaire ou non. C’est un peu longuet, le groupe se perdant parfois dans des déchirements électriques lancinants. Il est dit que cette musique, annoncée comme « onirique et mélancolique », pourrait être celle d’un film de David Lynch ou Quentin Tarantino. Je vais réviser mon encyclopédie du cinéma pour me faire une opinion. Au bout d’une prestation d’environ une heure, je suis bien incapable de vérifier cette affirmation.

22h 40

Paul Personne © Jacky Joannès

Voilà cinq ans que le natif d’Argenteuil Paul Personne n’était pas venu faire un petit tour du côté de NJP. C’est bien lui que tout le monde attend, je le confirme et ne retire pas un mot de ce que j’avais écrit à l’époque. Comme si le quasi septuagénaire, flanqué d’une jeune garde (claviers, basse, batterie), celui qu’on nomme parfois « l’homme à la Gibson », avait ce don particulier d’effacer les rides du temps au moyen de sa musique. Environ 25 albums au compteur, une carrière au long cours émaillée de hauts et de bas mais un engagement artistique et personnel qui ne se dément pas au fil des ans. Parce que René-Paul Roux (c’est son vrai nom), musicien chanteur adepte d’un blues rock carré et efficace depuis plus de 40 ans, est en pleine forme. La source de sa passion serait l’album de John Mayall Bluesbreakers with Eric Clapton. On peut comprendre la force d’une telle stimulation, tant ce disque fait partie du patrimoine du blues anglo-saxon. Paul Personne vient de sortir un disque : Funambule (Ou tentative de survie en milieu hostile), dont le titre parle de lui-même. Personne n’est pas un bluesman stricto sensu : si le blues et le rock circulent à grande vitesse dans les veines de ce musicien chanteur, celui-ci a su se forger un univers bien à lui, nocturne, témoignage des duretés de notre quotidien et de ses laissés pour compte. Chez lui, la musique est une cause à défendre coûte que coûte ; il faut souligner sa capacité à ne jamais tomber dans la mièvrerie. Sa constance, son bonheur d’extirper de sa guitare des solos brûlants, le talent qui consiste à modeler le français pour en faire une langue musicale, tout cela contribue au plaisir sans retenue d’un concert qui aura été à l’image exacte de celui qu’on attendait. Loin de lui reprocher cette fidélité, je sais gré à Paul Personne d’être présent au bon moment.

Minuit.

Quatre heures quasiment sans pause. Que Sugaray Rayford ne m’en veuille pas. J’ai eu ma dose de musique, plus ou moins tonifiante. Je quitte le Chapiteau. Demain – qui est déjà aujourd’hui – c’est Pépinière en Fête, des milliers de personnes vont se presser dans les allées du Parc jouxtant la Place Stanislas pour écouter d’une oreille plus ou moins attentive une multitude de formations jouant dehors ou dedans. On annonce du soleil. Tant mieux.