Scènes

Walter Thompson à Koa Jazz

Koa Jazz 2015 : Walter Thompson


Photo © Frank Bigotte

Maison Pour Tous Voltaire, 22 avril 2015. Pour la deuxième soirée des Rencontres, le public montpelliérain a eu le privilège d’assister à une performance de Soundpainting phénoménale dirigée par Walter Thompson himself.

Cette 8e édition des rencontres Koa offre décidément une grande et riche variété d’événements. Le collectif Koa a toujours attaché une importance particulière au Soundpainting, et la venue de son créateur Walter Thompson, pour la deuxième année consécutive, était un rendez-vous à ne pas manquer.

Le Soundpainting est un langage à part entière, qu’il a inventé en 1974 et n’a cessé de faire évoluer depuis, qui consiste à composer en temps réel. Le chef, face à ses « performers » (instrumentistes et chanteurs, mais aussi comédiens, danseurs etc.), les dirige à l’aide de quelque mille cinq cents signes… Le champ des possibles est donc sans bornes.

Walter Thompson, arrivé à Montpellier en début de semaine, a animé pendant trois jours un atelier ouvert à tous pour préparer le concert. Seize personnes y ont participé - saxophones, flûtes, violon, clavier, trompette, guitare, basse, trombone, ainsi que deux chanteurs, deux comédiens et une danseuse. Au terme de cet atelier, les participants, dont certains découvraient ce langage, ont donné un spectacle impressionnant, plein de sensibilité et en connexion directe avec le public.

Walter Thompson Photo © Frank Bigotte

Le premier signe que Walter Thompson montre à ses « cobayes » est (comme souvent) compréhensible d’emblée tant il est expressif. Il englobe tout le groupe puis esquisse une vague de la main gauche. Pas d’indication de tonalité, ni de tempo. Chacun jouera la ou les notes qu’il voudra. Le silence règne toujours, les artistes s’apprêtent, le chef lance le son et une matière vivante prend forme instantanément, une masse sonore forcément très dissonante qui respire, dont le volume monte et descend selon les indications données : on entend la vague. Puis Thompson indique à certains musiciens de se distinguer et leur fait des propositions. Qui une note tenue, qui une série de « pêches », qui une improvisation pointilliste. La masse se transforme, bouge et évolue d’atmosphères sombres et puissantes, parfois criardes, en calmes presque inquiétants, vaporeux. On croirait entendre une volute de fumée qui se meut doucement, et dont le dessin à un instant donné n’a strictement rien de commun avec ce qu’elle était dix secondes plus tôt.

Les comédiens ajoutent une dimension étonnante en improvisant des textes que Thompson leur commande, de plus en plus rapides, de plus en plus forts, de plus en plus aigus. Il a des signes pour leur demander de rire, de tousser, de chambrer le public, de se reposer et de faire comme si le spectacle était fini. Il peut demander à tous de parler en même temps, de hurler, de se racler la gorge…

Et puis il a l’expression corporelle. La danseuse, au même titre que les musiciens, interprète les gestes et semble traduire avec son corps les sommations sonores. Tantôt elle reste dans l’orchestre, tantôt elle s’approche et gravite autour du maestro, seule ou avec les comédiens. Jusqu’au moment où il fait lever tous les musiciens et les invite à se déplacer dans l’espace en dirigeant leurs allées et venues. La mégalomanie menace, à mesure qu’on prend conscience que le chef est un marionnettiste tout-puissant, capable d’articuler des pantins grandeur nature et de sculpter du bout du doigt n’importe quel événement sonore, parfois délicat, parfois cataclysmique.

Par exemple, le « Stab Freeze » a la même efficacité qu’il s’agisse de diriger un musicien, un danseur ou un comédien. Le chef d’orchestre, en posant le poing à plat dans sa paume, commande un effet de disque rayé. Le mouvement que le danseur était en train de faire, la phrase que le comédien disait ou que le musicien jouait, il la réitère à de multiples reprises, sur le même tempo. Quand les artistes sont tous à gesticuler autour de lui, cela donne une scène hilarante (une de plus), presque silencieuse. Puis le poing quitte la paume, et Thompson désigne un comédien et demande à tous les autres de l’imiter dans la répétition de son mouvement. On a coutume de dire que le ridicule ne tue pas ; dans le Soundpainting non seulement il n’existe pas, mais il émerveille.

Walter Thompson est un génie, et son métier consiste ainsi à aller dans toutes les régions du globe, armé de ses seuls signes, afin de rassembler des performers (expérimentés ou non), de leur enseigner son langage, et de créer ainsi des œuvres passionnantes et forcément uniques. Voilà qui force le respect.

Après une heure et demie de concert qu’on ne voit pas passer, une ovation rappelle le maître. Il improvise alors une battle entre les musiciens et le public. Ses signes sont si limpides, et lui-même dirige avec tant de verve, en utilisant tout son corps, que le public comprend tout de suite ce qui lui est proposé. Cette interaction provoque un déchaînement spectaculaire, beaucoup de rires, parfois un peu de crispation aussi.

Avec le langage du Sounpainting, on risque aussi de peindre des décors qui n’ont pas de sens, des tableaux anarchiques et indigestes qui ne racontent rien. Tout dépend de la main qui tient le pinceau… Certains peuvent peindre le plafond de la Chapelle Sixtine.