Chronique

Anis Benhallak

The Clown Theory

Anis Benhallak (g, voc, synth), Mauro Gargano (b), Arnaud Dolmen (dms), Maximilien Helle-Forget (p, Rhodes) + Karim Ziad (dms).

Label / Distribution : Miz’art Production

Cet enfant de l’Algérie est arrivé en France voici une vingtaine d’années. Dans sa tête, une multitude de disques qu’écoutait sa mère, ceux de James Brown aussi bien que d’Oum Khaltoum. Guitariste autodidacte, Anis Benhallak est « entré en jazz » dès l’adolescence, guidé par des maîtres tels que Miles Davis, Charlie Parker, Cannonball Adderley… sans pour autant perdre de vue ses amours raï et rock (Jeff Beck, Zappa et forcément beaucoup d’autres). Il ne cessera alors d’ouvrir sa musique aux vents soufflant sur tous les continents, en voyageur avide de découvertes et de rencontres.

Le voici qui publie The Clown Theory, son troisième album après Paradoxical Project (2014) et Apes Theater (2018), avec pour la première fois l’introduction discrète de sonorités électroniques. Tout de suite, on est séduit par l’énergie qui ruisselle dès les premières mesures de la composition titre : voilà un jazz rock de très belle facture, héritier à n’en pas douter du Lifetime de Tony Williams et poussé par la paire rythmique que forment Mauro Gargano et Karim Ziad (présent sur deux titres de l’album, Arnaud Dolmen officiant sur les autres). Sur cette entrée en matière, la guitare du leader est incisive, rageuse et saura déployer tout au long de l’album des couleurs éclatantes. L’influence de Pat Metheny est parfois explicite (« The Sinner And The Priest »), tout comme celle du Maghreb des origines (le puissant « The Devil’s Crossroads »). Mais il y a évidemment chez lui un cœur de rocker qui bat assez fort, jamais très loin d’une esthétique progressive (« Song For Chem », qui évoque un peu l’École de Canterbury). En outre, Anis Benhallak ne résiste pas aux charmes de la mélodie, qui culmine en ballades contemplatives (« Pearl Box », « Alya In Wonderland ») ou en une échappée solitaire poignante (« Le Funambule de Bagdad »). En amoureux des images et des illustrations, le guitariste s’autorise de courtes séquences, des ponctuations oniriques servies par le piano de Maximilien Helle-Forget (« The Clumsy Juggler ») ou de petites percussions (« La Ronde », « The Fourth Monkey »). Le scénario est bien agencé, variant les points de vue et préservant le suspense. Sans doute Anis Benhallak n’a-t-il jamais oublié le vidéo club de son enfance…

The Clown Theory est aussi une première pour le guitariste en ce qu’il lui donne l’occasion de se présenter en chanteur (enchanteur ?) : le disque se termine en effet par « Last Smile », ballade évanescente où Anis Benhallak unit ses cordes naturelles à celles de son instrument. Une manière peut-être de dessiner sa musique à venir, allez savoir. En attendant, on prendra un grand plaisir à voyager avec celle d’aujourd’hui.