Scènes

Antoine Hervé : Les noces du jazz et de la musique contemporaine

Concert d’Opus 4 à la Maison pour Tous de Fontenay-sous-Bois, le dimanche 17 avril.


La formation d’Antoine Hervé « Opus 4 », composée de deux pianistes et deux percussionnistes tout droit venus de la musique contemporaine, a donné un beau concert le 17 avril à Fontenay-sous-Bois.

Par un calme dimanche de printemps, devant une centaine d’élèves de l’Ecole de musique et leurs parents, serrés dans le petit auditorium de la Maison pour Tous de Fontenay-sous-Bois, s’est déroulé un concert beau, intéressant et original. Ce n’est pas tous les jours, en effet, qu’on assiste aux noces du jazz et de la musique contemporaine.

« Opus 4 » est une formation animée par Antoine Hervé, qui la dirige au piano. Sa femme, Véronique Wilmart, tient le second piano, et lance des séquences électro-acoustiques de sa composition à l’aide d’un mini-clavier électronique et d’un Macintosh.

La petite scène, déjà fort occupée par les deux demi-queue, est complétée par l’impressionnant arsenal de percussions qu’y ont installé Daniel Ciampolini et Abel Billard, deux percussionnistes issus de l’Ensemble intercontemporain : à une batterie s’ajoutent un vibraphone, un marimba, une derbouka, un hang et une myriade de percussions exotiques (chimes, claves, maracas…) que complètent des toms supplémentaires.

« Opus 4 », de formation récente, a peu d’occasions de se produire. La dernière en date remontait au festival Présence de Radio-France, où la soirée du 5 février était consacrée aux compositions d’Antoine Hervé et Véronique Wilmart. Un autre concert est prévu à Dijon, puis un dernier en fin d’année, à Paris.

Il est étrange que cette musique inouïe, ces alliages sonores voluptueux où la recherche n’est jamais aride mais toujours swinguante, puisse naître dans l’indifférence, sans connaître une meilleure diffusion que quelques concerts organisés sporadiquement par des passionnés comme Mr Mut le directeur de l’Ecole de musique de Fontenay-sous-Bois. Trois jours avant, à Metz, Antoine Hervé donnait un concert en duo avec Michel Portal devant une belle assistance : quel contraste que le sort réservé à cet « Opus 4 » qui lui tient à cœur et qui dispense une musique au moins aussi belle…

A. Hervé © Patrick Audoux
© Patrick Audoux

Le dernier mouvement de la sonate pour deux pianos et percussion de Bartok - chef d’œuvre pour lequel Antoine Hervé s’est pris de passion - devait être donné en premier. Hélas, la scène était trop étroite pour accueillir les volumineuses timbales. C’est donc par « L’Exorciste », composition d’Antoine Hervé, qu’a commencé le concert - cet Exorciste qui débutait aussi le disque Paris-Zagreb enregistré en public à Zagreb en 1991. Daniel Ciampolini, musicien fétiche de Pierre Boulez, fournit à la batterie une prestation impressionnante de punch, de précision, de swing, bien assisté par Abel Billard, qui passe du vibraphone à son arsenal de percussions avec aisance. Puis, « Les Pensionnaires », que nous avions découvert sur le disque en solo Inside, lancé à la derbouka par Abel Billard. Ce fut ensuite le premier sommet de l’après-midi avec un duo piano-hang, rare instrument que Daniel Ciampolini a tapoté, frappé, frotté des paumes et des doigts, accompagnant de sons profonds « Just Live to Tell the Tale », magnifique mélodie d’Antoine Hervé.

Après une telle intensité, saluée par l’enthousiasme du public, Antoine Hervé, seul au piano pour une impro sur « Fiesta » de Chick Corea permit à son groupe de récupérer. Puis, Véronique Wilmart vint lancer une musique planante, entièrement composée de séquences de sons de sa fabrication, obtenus à partir de l’enregistrement de bruits divers, longuement retravaillés : ce fut « Imaginaire ». Antoine Hervé l’a rejointe pour « Miroir », où son piano dialogue avec lui-même par l’intermédiaire d’un retraitement du son.

Vint alors « Quai de la Gare », second sommet de la journée, composition initialement destinée à un big band, magnifiquement arrangée pour cette formation atypique, où tout le groupe s’est lâché pour un grand moment de jubilation et d’effervescence rythmique. Le concert se termina ensuite dans l’euphorie générale par « Samba Retchenitsa », curieux nom brésilo-bulgare, qui recouvre une composition trépidante et orientalisante. Deux bis vinrent couronner ce succès, le dernier étant une reprise des « Pensionnaires » au cours de laquelle un Antoine Hervé heureux nous récompensa d’un chorus vraiment terrible !

Ce concert d’« Opus 4 » fut certes hétérogène, le groupe s’étant trop peu produit jusqu’à présent pour disposer d’un répertoire complet de compositions dédiées, mais souvent magnifique. Les percussionnistes sont une révélation et notamment Daniel Ciampolini, aussi à l’aise à la batterie qu’au vibraphone. Que la musique soit écrite ou qu’il doive l’improviser, il donne l’impression que le jazz est son lot quotidien.

De nombreuses personnes ont regretté que ce concert n’ait pu être enregistré. Il semble que l’idée commence à germer dans l’esprit de nos musiciens. Avis à la population des agents, journalistes, producteurs et autres organisateurs de festivals : nous tenons là un leader, un groupe et une musique susceptibles de réjouir un grand nombre d’oreilles.