Portrait

Fabrice au pays des merveilles

Fabrice Theuillon réactualise le monde merveilleux d’Erik Satie.


Fabrice Theuillon @ Stanislas Augris

En compagnie de son ami de longue date le pianiste Yvan Robilliard, Fabrice Theuillon interroge l’héritage musical d’Erik Satie, armé de sa bonne foi et de son fidèle saxophone ténor.

Tout commence il y a bien longtemps, dans une enfance heureuse. C’est à l’âge de dix ans qu’un disque frappe l’imagination du jeune Fabrice Theuillon : une interprétation des Gnossiennes d’Erik Satie par Pascal Rogé. Cet univers merveilleux ne le quittera plus.

Léo Ferré ou Claude Nougaro résonnent dans les pièces de l’habitation des parents Theuillon. Il est de bien pires influences, convenons-en, mais c’est Erik Satie qui incite Fabrice à la rêverie. Plus tard, à l’adolescence, un autre musicien, américain celui-là, le transportera dans un autre monde qui s’appelle le jazz : John Coltrane. « J’ai démarré l’écoute de Coltrane avec Coltrane’s Sound, très bel album : je suis resté émerveillé par ses compositions personnelles ainsi que par ses reprises de standards ». L’intransigeance de Coltrane ne le laisse pas insensible. Il est fasciné par le phrasé limpide de ce saxophoniste. En parallèle, la dévotion de Christian Vander pour John Coltrane est totalement assimilée par le jeune Fabrice. Le plus beau des cadeaux sera pour lui d’être convié à la rétrospective célébrant les trente ans du groupe Magma au Triton en 2005 : il officie dans l’équipe dédiée au premier album, Kobaïa, avec la présence au chant de l’incontournable Klaus Blasquiz.

Fabrice Theuillon @ Benoît Alziary

Parallèlement à ses expériences vécues avec le Collectif Surnatural ainsi qu’avec les Wolphonics, Fabrice réécoute inlassablement Erik Satie : un premier amour ne s’oublie jamais. Il ne tarit pas d’éloges sur le pianiste inclassable que l’on qualifie tour à tour de néo-classique, surréaliste ou minimaliste. « Je reviens sans cesse à Satie, il me touche. Ses propos sur la musique étaient en avance sur son temps, d’ailleurs il présente un étonnant paradoxe, oscillant entre matérialisme et spirituel ». Une amitié indéfectible s’instaure avec Yvan Robilliard . Évoluant aussi bien dans l’univers de la musique classique que dans de palpitantes aventures jazzistiques, des master classes réalisées avec Herbie Hancock et Wynton Marsalis conduisent rapidement Yvan à enregistrer son admirable premier album solo intitulé Mouvance, sous l’aile protectrice d’Antoine Hervé.

Lors de la période du confinement, Fabrice Theuillon initie des projets dédiés à l’œuvre de Satie mais parallèlement il subit de graves problèmes de santé. Il va droit à l’essentiel : les musiques d’Erik Satie vont renaître investies d’une force créatrice nouvelle. « On m’a encouragé à faire ce disque et ça m’a fait le plus grand bien ». Thomas de Pourquery compte également beaucoup pour Fabrice : il le connaît depuis quinze ans, c’est pour lui un ami proche et très généreux.

Le duo piano-saxophone laisse présager de futures formations élargies ; quant au choix du ténor, voulu par Fabrice, il joue un rôle particulier : il ne s’installe pas avec une facilité convenue dans la mélodie mais se dirige directement dans la clé de fa du piano, offrant ainsi une volubilité réjouissante. Le disque aborde certaines pièces moins connues de l’univers de Satie, et l’apport du synthétiseur Moog est incontestablement un clin d’œil à Olivier Messiaen et aux ondes Martenot qu’Yvonne Loriod décrivait comme « un instrument moderne mais humain ».

I K I R U plays Satie @ Stanislas Augris

Fabrice Theuillon insiste sur le fait que Benoît Alziary , chargé de la sélection et de l’édition musicale, ainsi que Benoît Gilg , auteur de l’enregistrement et du mixage, ont fait de cet album I K I R U plays Satie un petit bijou au son captivant. « Grâce à ces deux amis qui ont pris soin de produire ce disque à la manière d’un enregistrement de musique classique, nous découvrons la musique d’Erik Satie bien valorisée avec une prise de son à l’ancienne, sans ordinateur, juste avec des micros bien placés et un enregistreur ».

The Minimalism Of Erik Satie, album du Vienna Art Orchestra paru en 1984, avait connu un grand succès. On imagine qu’ I K I R U plays Satie est bien parti pour obtenir une reconnaissance similaire. Suite au lancement réussi au Festival Banlieues Bleues, qui a soutenu le projet, rendez-vous est pris le 2 septembre 2023 au Sunside à Paris pour une écoute approfondie de ce duo galvanisant. D’autres concerts seront programmés en fin d’année.