Scènes

Au Hot Club de Lyon, Gene Perla a la nuit pour lui

Sans plus de manières, l’ex-contrebassiste d’Elvin Jones ou de Sonny Rollins fait un brin de chemin avec un talentueux trio.


Gene Perla était à Lyon le temps d’un unique concert vendredi 13 juin 2008. Au Hot Club évidemment. Perla ? Un musicien exemplaire qui se partageant avec décontraction, entre le présent et une histoire qui ne l’encombre pas plus que ça. Résultat : son passage aura été un moment rare, escorté par un des trios-piliers de la scène jazz lyonnaise actuelle, John Boutellier, Olivier Truchot et Stéphane Foucher.

A eux quatre, ils auront démontré, le temps de deux petits sets, que le jazz, affaire de rencontres, ne peut se prévoir à l’avance. Qu’il est libre de choisir entre des retrouvailles convenues, sans portée, et les moments rares où l’on appuierait désespérément sur le frein pour mieux les déguster et les retenir.

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Les deux sets distillés à Lyon ont été de ce registre. A peine préparés. Au menu, des compositions de Gene Perla mêlées à des standards de Monk, Bill Evans, Sam Rivers et quelques autres. Autant de thèmes qui auront permis au quartet d’un soir de procéder à un partage des rôles exemplaire. C’est peu dire que la machine a tourné à plein, dominée, certes, par les incartades de John Boutellier et d’Olivier Truchot, pour le plus grand bonheur apparent de Gene Perla, totalement à son affaire.

Devant, donc, John Boutellier : les thèmes comme l’assise rythmique qui l’entoure donnent à ses interventions un éclat inégalé. Non seulement le jeune saxophoniste joue juste et sobre, mais il ne cesse d’étendre son registre, associant décontraction apparente et densité du monologue. De plus en plus, comme pressé par le temps, il va à l’essentiel, délaisse les fioritures, les temps d’attente, les phrases toutes faites ou les révérences aux aînés et navigue en solo, riche sans être vraiment prolixe, précédant constamment l’auditeur et surtout, s’appropriant l’instrument comme jamais.

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Il en est presque de même d’Olivier Truchot, boulimique du clavier, qui veut tellement en dire qu’il en oublie d’économiser son talent. Sur la basse de Gene Perla, sa réflexion est de toute beauté, sans banalité ou remplissage. Son enthousiasme le rend certes bavard mais sans jamais dévier dans l’ennui ou la redite.
Là est sans doute la richesse d’une telle rencontre, si éphémère qu’on ne se gêne pas mutuellement. Bien sûr, on est d’abord attentif à ce contrebassiste, long escogriffe installé au Hot comme s’il y avait toujours joué. L’homme a plaisir à être là, dans ce sous-sol empierré du cœur de Lyon, devant une assistance trop maigre et pourtant bruyante : avec le sourire, il devra lui demander de la mettre en sourdine… Pour le reste, il a la nuit pour lui. Au passage, il se confie. Moins sur ses multiples aventures jazzy que sur ses pénibles démarrages. A l’en croire, ayant commencé le piano à l’âge de cinq ans, il aurait décidé de passer à la basse après avoir entendu Bill Evans en concert. « Sur la contrebasse, on ne tape qu’une note à la fois » s’amuse-t-il.

Tant mieux pour la basse : depuis, Perla a en effet - ô combien - marqué l’instrument ; mais ses incursions remarquées côté basse électrique [1] ne limitent en rien son registre à la contrebasse. Au Hot Club, vendredi, ce fut évident : cette façon de faire palpiter l’instrument, cause de tout, emplissant l’espace de sa tendre et pleine sonorité, rassurant ses sidemen et les portant à un niveau rarement égalé, Stéphane Foucher (dr) compris.

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Pour les absents, il est urgent de se reporter aux enregistrements de Gene Perla, et notamment à l’album incontournable signé avec Elvin Jones. Selon ses dires, un second devrait sortir incessamment, peut-être en duo. Bref, Perla, bonhomme, aura donné vie, un soir durant, à un quartet monumental, avant de repartir comme il était venu. Il est en Europe tout l’été, calant des dates ici et là au gré des besoins et des possibilités de chacun. Avec un peu de chances, il pourrait donc réapparaître d’ici fin juillet. A ne surtout pas louper.