Chronique

Roberto Magris Trio

Kansas City Outbound

Art Davis (cb), Jimmy « Junebug » Jackson, Zack Albetta (dr)

Kansas City Outbound est le dernier-né de Roberto Magris, pianiste originaire de Trieste relativement peu vu en France mais qui, d’album en album (déjà une quinzaine), installe une belle aventure musicale. Sur cet album, enregistré à Kansas City, il mêle ses propres compositions à quelques titres de Monk, Andrew Hill, Benny Carter ou Billy Strayhorn. Mieux encore, il y invite Art Davis contrebassiste de légende (Coltrane, Olé et A Love Supreme, Gillespie) rencontré l’année précédente lors de ses débuts à Hollywood dans les clubs, et côté percussions Jimmy « Junesbug » Jackson (qui escorta longtemps Jimmy Smith) et Zack Albetta. Autant d’ingrédients justifiant d’emblée l’intérêt que suscite cet album. Dans l’art du trio piano–basse–batterie à l’histoire marquée de chefs-d’œuvre, ce pianiste au parcours inhabituel apporte une « pierre » tout sauf anodine.

Dans ce « set » d’une heure - original et savoureux car mûrement pesé -, c’est surtout le cheminement complexe du trio qui retient l’attention. Tour à tour apaisé ou virevoltant, Magris a un jeu dépouillé faussement simple, toujours étincelant. De « I Fall In Love Too Easily » à « A Flower Is A Lovesome Thing », on peut évidemment pointer ses sources d’inspiration mais on cède vite à l’étonnement devant le brio de son style, où la fantaisie est la trame qui noue et renoue la rencontre. Le maître mot est ici la clarté, et les exposés en sont presque pédagogiques. Magris s’efface volontiers pour laisser ses complices se dévoiler ou montrer le chemin. Mais quelques thèmes favorisent particulièrement les élans des trois musiciens, tel « Reverend du Bop » (Andrew Hill) ou « Bemsha Swin », (Monk). On est convaincu par son art de la pirouette gracieuse, modeste ou nonchalante - un art de la note précise qui n’est pas sans rappeler Ahmad Jamal. A déguster ici, au piano solo cette fois, « Lonely Woman », incisif. Ailleurs, la présence débonnaire de la basse ou le jeu de drums de Jimmy « Junebug » Jackson se plaisent à renverser les rôles ou à les compléter.

Pour le pianiste, Kansas City Outbound n’est pas un disque comme les autres : il l’a enregistré il y a deux ans aux Etats-Unis, après un festival où il rendait hommage à Jay McShann. Le résultat a manifestement profité de cette rencontre entre musiciens venus d’horizons très divers.