Sur la platine

Beats & Pieces, Manchester en grand


Nouveau venu dans la galaxie de la fédération Grands Formats depuis qu’elle s’est largement ouvert à l’Europe, le Beats and Pieces Big Band est une fenêtre ouverte sur le jazz britannique, et notamment sa tradition des larges formations. Orchestre de combat mené par l’arrangeur et chef d’orchestre Ben Cottrell, la formation mancunienne, forte de ses quinze pupitres, offre une musique vigoureuse et très marquée par la pop environnante, sans tomber dans la facilité.

L’Angleterre est une terre fanfaronne où le cuivre est une matière précieuse. On le sait depuis Purcell, mais plus récemment, des musiciens comme Mike Westbrook ou, pour aller vers une atmosphère plus urbaine, le Herbaliser Band le confirment. Un chef d’orchestre comme Ben Cottrell, arrangeur renommé (il a travaillé, entre autres, avec Snarky Puppy ou la chanteuse soul Laura Mvula), trace une route médiane, très marquée par la musique classique et contemporaine, mais également les deux pieds dans un groove direct, chaleureux et puissant, comme le confirme le bien nommé « Pop » sur All in, un disque édité par le Beats and Pieces Big Band (BPBB) en 2015. Batterie puissante et volontiers binaire de Finlay Panter, luxe de détails des vents, notamment le trompettiste Graham South : le BPBB tape juste. Cottrell ne joue pas, mais il offre une écriture ouvragée, sans maniérisme, qui évolue avec le temps mais colle toujours à des marqueurs esthétiques assez prégnants : Gil Evans pour la profusion, Kenny Wheeler pour la clarté, et des fortes têtes de la pop internationale pour la couleur, comme Björk ou Radiohead, cités dans les influences.

Ce qu’on entend surtout, c’est un groupe solide et bien en place, indubitablement inventif, et ce dès Big Ideas, leur premier album paru en 2012. Le morceau « Jazzwalk », tenu par la basse puissante de Harrison Wood, est une ligne solide sur laquelle les soufflants peuvent se permettre toutes les gourmandises. Ce n’est ni clinquant ni démonstratif, c’est insolemment efficace pour faire bouger les pieds sans arrière-pensées. Cottrell sait y faire pour tracer des lignes droites et offrir toutes sortes d’enluminures : un saxophone baryton qui découpe le temps à l’envi et une guitare électrique baladeuse (Anton Hunter, homme de base de Cottrell). Une recette simple, mais qui ne se répète pas et évolue sans cesse.

On le constate avec ten, le dernier album sorti en 2018. « nois », qui ouvre un live dévastateur qu’on peut aussi apprécier en DVD, est une boucle construite par Hunter - qu’on retrouve avec d’autres membres du BPBB dans une autre formation, Favourite Animal - qui cogne dru et avance à très grande vitesse. On retrouve d’ailleurs le bon vieux « jazzwalk », avec une évolution de la forme de l’orchestre, notamment Emily Burkhardt en cheffe de meute des saxophones. BPBB est un orchestre joyeux, turbulent et festif, mais taillé dans un roc solide, voire même massif si nécessaire. « banger », au tropisme clairement rock avec sa guitare très en avant et ses arrangement pop, en témoigne tout en gardant une écriture très ouvragée, œuvre d’un Ben Cottrell qui sait exactement où il va. Une petite pépite de Manchester, à découvrir de toute urgence.