Scènes

Voir Benjamin Moussay en peinture

Benjamin Moussay en duo avec Claude Monet à l’Abbaye de Fontevraud.


Benjamin Moussay, photo Michel Laborde

Dotée depuis peu d’un musée d’art moderne, la splendide Abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) propose, en plus d’une collection permanente, des expositions temporaires. « Métamorphoses. Dans l’art de Claude Monet » a permis cet été d’admirer le travail du peintre dans son parcours pictural. Pour compléter cette exposition et l’apprécier autrement, un programme musical conçu en six étapes est venu enrichir la visite du musée. Le lundi 22 août, Benjamin Moussay portait le dernier coup de pinceau à ce cycle.

Fleuron du patrimoine français, entièrement restaurée, l’Abbaye Royale de Fontevraud, accueille depuis un an un musée national d’art moderne constitué du legs des collections de Martine et Léon Cligman (industriels dans le secteur textile). De l’avantage d’être très riche : l’héritage fait musée. Le simple visiteur pourra admirer, lui, la diversité de pièces à la qualité indiscutable.

« Métamorphoses. Dans l’art de Claude Monet » est une sélection choisie avec soin de pièces du peintre (notamment un ensemble de Nymphéas et autres fleurs du bassin peints entre 1903 et 1926) venues du Musée Marmottan-Monet. Une programmation musicale soignée vient, quant à elle, compléter le tableau (pourrait-on dire). Six moments aux esthétiques variées ont agrémenté les soirées de l’institution. Ligovskoï pour la musique électronique, le duo Ueda-Offermans, concert de satsuma-biwa (luth traditionnel japonais) et flûte traversière, deux concerts lyriques voix piano (Adèle Lorenzi-Favart et Xinhui Wang puis Cyrielle Ndjiki et Kaoli Ono)… c’est tout naturellement que le duo de Thomas Savy et Benjamin Moussay retient l’attention des colonnes de ce magazine.

Le programme joué est un répertoire du clarinettiste, écrit pour l’occasion. Avec son partenaire au Fender Rhodes, ils évoquent le parcours de Claude Monet : d’un impressionnisme encore largement figuratif à un geste de la main qui déborde toute idée de représentation et fait exploser les attendus de la peinture. Ce lundi soir, installé au milieu des tableaux (les variations des fameux Nymphéas), c’est un Benjamin Moussay seul qui illustre avec son art celui du peintre. Quand l’éphémère de la musique rencontre le pérenne de la peinture.

Il s’installe derrière un Fender Rhodes d’où s’échappe au sol un entrelacs de câbles. L’enchevêtrement complexe mène à des pédales et un ampli, et rappelle les courbes et les lignes des tableaux au mur. Quand il joue, on entend la mécanique du clavier, les lamelles de métal et le souffle de la machine. On est comme au cœur même de la création, loin des sonorités policées du studio. La musique est affaire de sonorité dans laquelle le musicien choisit d’organiser les sons. En l’occurrence, Moussay réorganise. Il devait être, en effet, au côté de Thomas Savy qu’une mauvaise chute (qu’on se rassure, il va mieux) condamne au lit. Moussay s’en sort seul.

Benjamin Moussay, photo Michel Laborde

Partant d’une valse chaleureuse qui évoque les bords de l’eau, les canotiers, et ce folklore où est né l’impressionnisme, il s’évade, et nous le suivons, dans des ballades chantantes pleine de clarté et de mélodies nostalgiques. En le suivant, pareil au peintre dont nous ne nous lassons pas de contempler les œuvres, nous assistons à une déconstruction de la forme musicale.

L’inspiration qui le gagne fait gonfler son imaginaire et ouvre grand les portes de la liberté. Des grand aplats sonores, de légers beats électroniques marquant les temps, quelques traits fugaces qui s’extraient de ce magma, la musique prend son indépendance et plus rien ne compte. Ni le souffle de l’instrument, ni la peinture autour qui désormais s’inclut dans le processus créatif en court et le colore. Tout prend vie dans le temps intime de la rencontre. Comme les tableaux, l’instant est suspendu.