Scènes

Albi Jazz, la belle empreinte

Comment parer l’hiver de jazz, dans la cité épiscopale.


Louis Sclavis © Gérard Boisnel

Albi est une superbe ville. Entre la cité épiscopale, le pont vieux, le musée Toulouse-Lautrec et la place du Vigan, la brique rouge donne à la ville une identité visuelle caractéristique. Pour un festival, c’est une réelle plus-value, d’autant plus que le théâtre dans lequel se déroule la plupart des festivités est lui aussi un très beau bâtiment.

De conception moderne et moderniste, à quelques encablures de la place de l’Amitié entre les peuples et de la place Jean-Jaurès, le grand théâtre d’Albi s’intègre fort bien dans cette cité historique. Un écrin, comme il est coutume de dire.

Sur le début de cette édition, on trouvait entre autres Valentin Ceccaldi, Leïla Martial, Louise Jallu, Eve Risser, L’Oiseau Ravage, Hugues Mayot, African Jazz Roots. On imagine volontiers que ces concerts ont porté le public. En tout cas, lorsque nous arrivons en fin de semaine, on perçoit que l’équipe est portée par un festival plein de vie. Le public est là, d’ailleurs, pour le superbe spectacle danse-musique-vidéo de Blitz, avec Marion Muzac et Sables Noirs. Pour celui des Bedmakers qui suivait dans le Magic Mirror, le quartet avec Fabien Duscombs, Robin Fincker, Dave Kane et Mathieu Werchowski a fait salle comble. On ne peut que s’en réjouir car les esthétiques fort différentes que développent ces formations sont entières, sans l’once d’une compromission ou de démagogie.
Tandis que Blitz travaille sur une matière qui appelle, pour le dire vite, à l’introspection, les Bedmakers inventent un folklore. Pour introduire le concert, Nathalie Besançon reprend l’expression « folklore imaginaire » popularisée par l’ARFI. On ne peut mieux dire. « Passe Montagne » est émaillé de phrases qui sentent bon la tradition inventée, et qui arrivent dans le concert au gré des cheminements libres du groupe, membre du collectif Freddy Morezon.

Fabien Duscombs © Christian Taillemite

Génial, le concert du quintet de Louis Sclavis. Il est un monument du jazz dans ses formes les plus libres et les plus audacieuses. Il n’a jamais dévié, depuis le Workshop de Lyon à la fin des années 1970, de cette idée que la musique se construit en improvisant. Avec Olivier Laisney, Christophe Lavergne, Benjamin Moussay et Sarah Murcia, ils développent de très belles choses inspirées à la fois de souvenirs indiens et de réminiscences de Chine qu’il avait publié dans les années 1980.

Le public est conquis tout comme il le fut par le concert de l’Orchestre Incandescent de Sylvaine Hélary. Le nonet de la flûtiste proposait un savant mélange entre musique ancienne, avec le violone et le ténor de viole de Chloé Lucas, musique contemporaine - le nom de « Steve Reich » revenait dans les bouches de spectateurs qui ressortaient sonnés par cette épopée hors genres - et jazz, mais c’est à se demander ce qu’il en est de ce genre qu’on définit de manière de plus en plus large au gré des innovations que ses acteurs et actrices proposent continuellement. De la folk aussi. Bref… l’Orchestre Incandescent construisait, dans ce théâtre de 900 places, un kaléidoscope complexe et juste.

Sylvaine Hélary © Michel Laborde

Le lendemain, le duo austère et néo-gothique sax-machinettes avec Léa Cuny-Bret et Franzie Rivère joue dès la mi-journée au Magic Mirrors. C’était une découverte et c’est tout à l’honneur du festival que de mettre en avant des musiciens et musiciennes moins connu·es sur le devant de la scène.

Le soir est consacré aux « grands » concerts. Le premier fut mené tambour battant par le quartet de Géraldine Laurent. On trouve, aux côtés de la saxophoniste alto, Benjamin Moussay, Yoni Zelnik et Gautier Garrigue. Une formation ultra prestigieuse qui a envoyé une heure et demie de concert enlevé, puissant et profond. Le projet s’intitule « Cooking » et, si ce n’est pas la première fois que le parallèle avec la cuisine est fait, il allait « pile poil ».
Il semblait difficile pour Jontavious Willis de prendre la suite, d’autant plus qu’il se produisait en solo. Mais c’était compter sans le talent de ce bluesman qui s’inscrit dans la tradition renouvelée. Une guitare acoustique sur un ventre bedonnant, qu’il a troquée une seule fois pour un solo à l’harmonica, il a emporté le public avec son récit de locomotive.

Malgré son jeune âge – ce n’est que la sixième édition – Albi fait très bien les choses : une programmation de grande qualité, des partenariats forts et caractéristiques de la volonté d’avoir une empreinte originale et locale. Aux côtés de Citizen Jazz, on voyait en effet Occijazz, CFM radio ou encore le dispositif CHAM du collège de Graulhet. Et le tout se déroule dans une ambiance simple et agréable.