Chronique

Brian Melvin Trio with Jaco Pastorius

Standards Zone

Brian Melvin (d), Jaco Pastorius (b), Jon Davis (p)

Label / Distribution : Global Pacific Records

Eclairage tardif sur un disque curieusement méconnu : cet album est le dernier enregistrement en studio de Jaco Pastorius, réalisé un an avant sa mort en 1987. Le légendaire bassiste s’y produit dans une formule en trio inédite, qui permet de révéler et de mettre en valeur son incroyable sensibilité dans un contexte différent du jazz-fusion qui lui est généralement associé.

Entrons donc dans la zone des standards… avec pour Pastorius, sur chaque morceau, un impressionnant espace d’expression déployé avec grandeur et générosité par Jon Davis et Brian Melvin. On retrouve dans ses chorus les plans de basse qui sont devenus la signature du musicien, mêmes phrases agrémentées de « notes mortes » ou d’harmoniques disséminées ça et là sur la plupart de ses albums. Mais au-delà du familier, Pastorius excelle également dans l’exposition des thèmes de ballades célèbres entre toutes, telles que « Days of Wine and Roses » de Mercer et Mancini ou « If You Could See Me Now » de Tadd Dameron qui lui permettent d’exploiter à merveille toute la finesse que lui offre la basse sans frettes.

La liberté et la maîtrise de Pastorius dans ce contexte sont manifestes. Son placement est irréprochable, et l’on reste souvent soufflé par la créativité de ses apports : ce peut être un chorus dans une valse qui a fréquenté les bas-fonds et dégénéré en reggae (« Wedding Waltz »), une walking-bass inédite lors d’une reprise du « So What » de Miles Davis étonnante de vélocité, une improvisation jouée à l’octave, telle que le faisait à la guitare Wes Montgomery, sur « Fire Water » de Buster Williams… Mais au-delà de la performance individuelle, ce qui ressort à l’écoute de ce disque c’est la découverte, par un musicien majeur de la dernière partie du siècle, d’une nouvelle contrée à explorer et à conquérir. Avec l’émerveillement qui l’accompagne.

Lorsque s’achève le dernier morceau, « Village Blues » de John Coltrane, interprété dans un déferlement de cymbales sur un tempo défiant l’entendement, la nuit du silence retombe dans notre esprit. Seul subsiste un étrange sentiment, improbable produit de la fascination et de la frustration quand on découvre l’incroyable potentiel de Pastorius en trio dans un contexte de jazz classique, en sachant que cet enregistrement en est le seul et unique témoignage.

par Arnaud Stefani // Publié le 12 avril 2004
P.-S. :

Après quelques investigations, il s’avère que ce disque (qui existe pourtant sous format CD) est quasi introuvable. Il ne reste plus que le marché de l’occasion, et la chance de tomber sur un exemplaire oublié au fond d’un bac. Une situation d’autant plus désespérante que ce disque est probablement le meilleur du Pastorius dernière époque, d’un point de vue artistique mais aussi sonore, alors que les magasins regorgent d’enregistrements pathétiques issus bien souvent de repiquages de cassettes audio. Bonne quête…