Scènes

Louis Winsberg à Marseille

Relecture des standards français à l’occasion de la sortie de l’album Douce France


Son album est sorti la veille à peine, et déjà Louis Winsberg en présente la substantifique moelle au Cri du Port, accompagné ici par une rythmique « régionale de l’étape » constituée de Fred Pasqua à la batterie et Lilian Bencini à la contrebasse.

Louis Winsberg © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le guitariste est manifestement ému et heureux de jouer à Marseille - sa ville natale. Le titre de l’album : Douce France. C’est donc tout naturellement ce titre qui ouvre le concert, dans une surprenante version : Winsberg l’interprète en solo à la guitare acoustique accordée en open tuning, laissant libre cours aux ornementations et aux résonances des cordes à vide. Le thème de l’éternelle chanson de Charles Trénet est exposé successivement dans le registre grave puis médium. Le tempo est plus lent que l’original, ce qui permet au musicien de se laisser véritablement imprégner par le son
atypique de son instrument et de se livrer à d’audacieuses variations.

Deuxième morceau, à la guitare acoustique toujours : « Les amoureux des bancs publics », que l’on mettra un certain temps à reconnaître tant l’introduction est éloignée de la version originale. Et pourtant, lorsqu’enfin le célèbre thème est joué, c’est l’évidence même et l’on n’est pas vraiment surpris. Comme si, même habilement dissimulée derrière une
complexe réharmonisation, la musique de Brassens faisait définitivement partie de la mémoire collective de chacun de nous.

Le ton est donné : Louis Winsberg va revisiter pendant ce concert les grands standards français, sans hiérarchie particulière, puisque l’on y croisera entre autres, outre Brassens à trois reprises, Julien Clerc, Nino Ferrer, William Sheller ou Claude Nougaro.

Ce répertoire apporte à la soirée un trait ludique puisque chacun, dans la salle, essaie mentalement de deviner le morceau qu’il est en train d’entendre. Parfois l’on peut reconnaître immédiatement le titre, parfois l’on reste dans le doute jusqu’au moment où le thème apparaît au grand jour. Les morceaux comme « Les feuilles mortes », « Le jazz et la java » ou « Dansez sur moi », qui
sont également des standards de jazz à part entière, subissent des traitements de choc et sont peut-être les plus éloignés des versions que l’on connaît. A ceux qui l’avaient oublié (si c’est possible), Winsberg le jazzman propose quelques brillantes manières d’accomoder le « saucisson », avec le soutien toujours impeccable de la section rythmique.

Autres points forts : « Les copains d’abord » avec un son légèrement saturé et une pédale wah-wah, agrémenté d’une improvisation bluesy et soutenue par une frappe de batterie binaire à souhait. Et cela fonctionne ! « Le Sud » dans une version magnifique, enrichie d’improvisation en octaves et de splendides voicings dissonants tels que l’on entend parfois chez Sylvain Luc. « Ma préférence » à la fin de laquelle plus personne ne se rappellera que c’est une ballade tant la version de ce soir est rapide, swing et électrique.

Au fil du concert, on redécouvre ces titres qui sont un peu une part de chacun d’entre nous, dans des versions émouvantes et surprenantes révélant le potentiel insoupçonné de ces chansons qui constituent bel et bien quelques pages d’un « real book » français. Les cent vingt spectateurs qui ont rempli la salle du Cri du Port ce soir ont fait le bon choix.

Louis Winsberg © P. Audoux/Vues sur Scènes

par Arnaud Stefani // Publié le 16 avril 2007
P.-S. :

Louis Winsberg Trio : Douce France, 2007
e-motive records / Nocturne