Fameux défi à relever.
Dans la série des standards que Philippe Ghielmetti a proposés aux musiciens de son écurie, il soumet ici à Bruno Angelini l’idée de relire la plupart des titres du mythique album de Ran Blake et Jeanne Lee « The Newest Sound Around ».
Après un premier refus, Angelini se lance finalement dans l’aventure.
Du coup, sur le premier morceau, comme s’il s’agissait d’une profession de foi ou d’une prière, on sent le pianiste prendre une grande inspiration, retrousser ses manches et plonger fébrilement en « Immersion » (seule composition personnelle de l’album).
Suivant l’ordre du célèbre disque, Angelini propose alors sa version à lui. Et dès les premières notes de « Laura », on sent à la fois la jubilation et surtout la personnalité du musicien prendre le dessus… La suite ne peut être qu’intense.
Et c’est le cas avec « Blue Monk », qui s’éloigne encore plus de la version « monkienne ». La mélodie, la trame de la ballade en ressortent d’autant plus. Il s’agit presque d’une renaissance. On perçoit alors, dans le jeu du pianiste, les influences d’un Keith Jarrett sur les attaques et les silences.
Les silences, c’est ce que maîtrise parfaitement aussi Angelini. Des silences emplis de rythme et d’histoires. Comme lorsqu’il réinvente le trop connu « Summertime » pour en faire un thème extrêmement langoureux, lent et profond. D’une intensité rare, d’une beauté envoûtante accentuée par une main gauche plongeant fortement dans les graves.
Intelligemment, il reprend plus loin le thème en le mélangeant à celui, presque frère, d’« I Feel Like A Motherless Child ». Pour cela, Angelini investit totalement l’instrument en frottant ou frappant le bois avant les cordes, puis en distillant les notes pour en dépouiller au maximum la musique. Il en retire alors une émotion extrême.
La musique est toujours en suspens, les notes se font attendre, désirer. Mais Angelini sait aussi se faire plus léger. Tel un peintre impressionniste, il construit par taches lumineuses un « Season In The Sun » brillant ou un « When Sunny Gets Blue » éblouissant. Ailleurs il semble détendu, comme sur le très apaisé « Where Flamingos Fly », où le jeu devient souple et ample.
L’ensemble est d’une cohérence exemplaire, et le sujet maîtrisé avec une qualité de jeu et un toucher qui ne peut être que conduit par l’amour d’une œuvre qu’il respecte profondément.