Entretien

Bruno Wilhelm

Bruno Wilhelm, saxophoniste, membre de l’ONJ de Franck Tortillier, cache sous un faux-air sage un tempérament bouillonnant de projets. Nous l’avons rencontré lors du festival d’Assier en juillet dernier...

Bruno Wilhelm, saxophoniste, membre de l’ONJ de Franck Tortillier, cache sous un faux-air sage un tempérament bouillonnant de projets. Nous l’avons rencontré lors du festival d’Assier en juillet dernier ; il nous a parlé de son travail pédagogique dans les stages qu’il y anime régulièrement, et de quelques-uns de ses projets artistiques en cours ou à venir.

  • Bruno Wilhelm, Assier et toi c’est une longue histoire ?

Je suis venu pour la première fois il y a 13 ans. La première fois que Jean-Marc Padovani m’a demandé de venir c’était en 94. Nous avions joué sur la grande scène avec son projet, le Minotaure Jazz Orchestra, et puis il y avait le quatuor de saxes qui était issu du Minotaure, l’Echappée Belle. J’avais animé le stage avec lui, c’était ma première année. Je n’ai pas fait 13 festivals, mais j’ai bien dû en faire sept.

- Parle-nous du stage de cette année. Qui sont les stagiaires ? Comment ça marche ?

Il y avait cette année 13 stagiaires : essentiellement des jeunes de 15 à 17 ans. Ça a été orienté par la thématique que j’avais choisie : en fait la vraie, celle qui n’était pas marquée sur les fiches d’inscription parce qu’elle aurait peut-être fait peur (rires), c’était « Rencontre avec le phénomène sonore ».

Je l’ai intitulé « A l’intérieur de l’orchestre » pour partir d’une prise de conscience de chaque fonction orchestrale, mais aussi pour qu’ils comprennent que ces fonctions orchestrales ne sont pas uniquement attribuées à un instrument : le batteur n’est pas que le batteur, le bassiste que le bassiste… en fait, ces fonctions appartiennent à tous les membres de l’orchestre.

La première partie du stage a été surtout orientée sur la composition et, quand les morceaux ont surgi, à la moitié du stage, j’ai fini sur l’improvisation, sachant qu’ils avaient déjà bâti les canevas. Ce soir, ils seront responsables de 100 % de ce qui va être joué, 100 % des compositions, toute la thématique – une thématique resserrée parce qu’on avait très peu de temps, bien sûr - et évidemment les improvisations. C’est ce que je voulais : un travail sur l’autonomie, sur le geste musical et la conscience musicale face au phénomène sonore.

Parmi les stagiaires il y avait deux très jeunes auxquels certains aspects formels, je pense, auront échappé, mais ils ont été entraînés dans une dynamique collective. Notamment un clarinettiste qui, intuitivement, s’en sort bien. On pourra le constater ce soir : c’est assez surprenant. Je crois qu’il a laissé tomber le formel et laissé parler son intuition. Et même, plus facilement que les autres !

Le concert va durer environ une heure – pas mal, pour un stage de cinq jours - et commencer par un duo complètement improvisé suivi des quatre morceaux écrits collectivement. Un de mes buts était d’arriver à leur faire comprendre qu’avec le matériau qu’ils ont - qui n’est évidemment pas, à leur âge, définitif - ils peuvent déjà faire quelque chose. Et j’ai insisté en fin de stage sur le fait qu’ils devaient continuer à travailler, apprendre la musique, parce que sinon ça va être limité.

Certains d’entre eux se destinent à la profession de musicien, d’autres non, mais à travers la musique j’ai essayé de leur faire prendre conscience d’une forme d’engagement qui est nécessaire quelle que soit leur activité.

- Et Assier, dans tout ça ?

Assier, c’est un site totalement magique. Ça fait 13 ans que je viens ici et j’espère que ce n’est pas la dernière année ! Il y a quelque chose qui se passe, qui est dans l’air : à peine arrivé j’ai senti le calme m’envahir. Chaque année c’est la même chose : il n’y a pas de ramollissement, il ne s’agit pas de ça, mais une espèce de calme intérieur qui fait que d’un coup, les choses peuvent prendre le temps d’exister, et ça me fait ça tous les ans. Depuis deux mois j’avais la tête dans le guidon, à gérer 15 projets en même temps et puis j’arrive ici et… ça va.

- Un mot de tes projets musicaux à titre personnel ?

D’abord, grand cadeau pour moi, cette année je suis programmé à Assier avec une de mes priorités artistiques, le trio Minéral Paradoxe. C’est un collectif, fruit d’une rencontre « hasardeuse » – je ne crois pas vraiment au hasard. Les deux autres sont Arnault Cuisinier, à la contrebasse et Edward Perraud à la batterie.



MP sceaux part 1


Nous allons jouer samedi dans le château. Pour moi c’est un grand cadeau : je n’y ai pas rejoué depuis le premier concert avec le Minotaure en 1994. J’ai rejoué au cours du festival, je venais souvent pour animer les stages, j’ai fait un duo avec un danseur japonais de buto, Masaki Iwana - une très grande expérience pour moi - ; j’ai donné aussi un concert en solo il y a deux ans, au milieu de l’eau, pas loin d’ici, mais je n’avais jamais rejoué sur la scène du château. C’est important pour moi, émotionnellement, d’être là, et avec Minéral Paradoxe, parce que c’est un des projets qui me tiennent le plus à cœur en ce moment, avec une certaine forme musicale : on est sur l’improvisation totale, et avec deux personnes que j’admire beaucoup artistiquement et humainement.



Mineral Paradoxe Assier part 2


Les projets futurs : avec Minéral, enregistrer un disque courant septembre. Je vais entamer ma troisième et dernière année au sein de l’Orchestre National de Jazz de Franck Tortillier. On sent venir la fin, ça passe très vite. Cela a été une expérience fabuleuse de se retrouver dans cet orchestre ; une équipe formidable avec des gens qui m’ont apporté beaucoup, une très belle histoire humaine.

Sinon, dans l’air, un très beau projet de spectacle avec Minéral Paradoxe et un ami scénariste pour enfants, Antonin Louchard, un spectacle où il dessinerait l’histoire en direct et où Minéral Paradoxe serait dans un autre contexte, toujours dans l’improvisation, qui est la force de ce groupe, mais avec des chansons, autour desquelles nous improviserions (en fait, Arnault mène une double carrière, il est aussi chanteur). Ce sera un nouveau pas pour Minéral Paradoxe.

J’ai aussi un projet avec un peintre italien où il s’agit d’occuper un espace, en relation avec ses propres mises en espace. Il travaille dans l’abstraction mais n’est pas du tout conceptuel ; il est vraiment dans l’expression directe. J’ai d’abord été touché par sa peinture, ça a été un choc, on a fait connaissance, il est venu au concert et il se trouve que ça a passé dans les deux sens ! Il m’a proposé qu’on fasse quelque chose ensemble. On s’est trouvé une proximité expressive et on va travailler à partir de cette proximité.