Chronique

Michel Aumont

Armorigène Trio

Michel Aumont (cl, loops, theremin, kasskass), Dominique Le Bozec (d, derbouka, cl), Laurent Genty (p, melodica, acc) ,

Label / Distribution : An Naer Produksion

Bon sang qu’elle est belle cette pochette, et élégante. Faite à partir d’un tableau de Jean Claude Charbonel, comme pour les précédents albums de Michel Aumont : des personnages aux profils de demi-lunes, les armorigènes, entre “moai” pascuans, statues-menhirs et masques africains, un fond marbré cette fois de vert et une lune où brillent des pièces mécaniques… A l’intérieur, un livret vous livre - c’est bien le moins - les partitions de « Septem » et des « Trois danses ». On ne vous en dit pas plus, vous allez voir. Des pochettes comme ça, c’est la meilleure arme contre le téléchargement sauvage.

Belle, élégante et pas facile - format 12,5 x 16 ! - à faire entrer dans les cases de votre range-CD. Autant dire qu’elle est comme le disque lui-même… parce qu’il n’est pas facile à ranger dans un tiroir, monsieur Aumont. Il y a toujours quelque chose qui dépasse.

Quatorze morceaux dont trois « ponctuations armorigènes » : « Virgule », « Point-Virgule » et « Point ». Chaque composition présentée en quelques mots finauds, caustiques. « Gravotigène » précise : « En tant que musicien armorigène, nous sommes soumis à un quota obligatoire de gavottes sous peine d’être reconduits aux frontières ». Nous voilà prévenus.

Mais la musique, alors ? Comme la pochette, on vous dit : belle, élégante et pas facile à classer. Les clarinettistes - même bretons - sont tous nés quelque part dans les Balkans, c’est indiscutable. La gavotte bretonne - qui est une danse, on vous le précise, pas une friandise industrielle - copule donc ici avec le “horo” bulgare - qui n’est pas un laitage industriel mais une danse aussi. Ils nous font des enfants armés d’humour jusqu’aux gencives, qui vous baladent en quelques phrases du fin fond de l’Afrique pygmée aux rues de Manhattan (« N’gi »), klezmerisent en sept temps (« Septem »), maghrébisent en cinq (« Le Be »), turco-flamenquisent une danse bretonne (« Gravotigène »), s’attendrissent sur une vieille vielle (« La roue du temps »), bref… vous emmènent dans un tour du monde illogique. Impulsif. Fantasque. Chatoyant et poétique.

Le theremin, instrument aussi exotique qu’intemporel, vous envolute (ce n’est pas une coquille) et vous coupe de toutes vos bases : vous voilà en condition pour le grand voyage. Le piano de Laurent Genty évoque souvent un Uri Caine élevé au lait battu, les clarinettes (sopranino, soprano, basse et contre-alto - s’il vous plaît !) rient et pleurent à vous fendre l’âme en deux dans toute sa longueur. Et ça danse, tout le temps - élevage de derbouka en batterie, kasskass et caisse claire, roulements de toms et cymbales « ride » aux mains de Dominique Le Bozec.

Plus éco-responsable qu’un tour du monde en avion, plus jouissif aussi et plus rapide à vous faire décoller. Et en plus, c’est en vente partout, que demande le peuple ?