Chronique

Bruno Tocanne

4 New Dreams

Bruno Tocanne (dr), Michael Bates (cb), Rémi Gaudillat (tp), Samuel Blaser (tb)

Label / Distribution : Instant Music Records

Après New Dreams nOw ! en trio en 2007, puis Five New Dreams l’année suivante, Bruno Tocanne nous offre maintenant 4 New Dreams. Trois, puis cinq, puis quatre : vous m’en mettrez une douzaine. Si l’homme est un rêveur intarissable, il le fait à sa façon : concrète, opérative - du rêve en action.

Ces quatre nouveaux rêves poursuivent le chemin des deux premiers albums : proches, dans l’esprit et dans la lettre, de ce jazz de combat qu’incarnent ses héros éponymes, les Old and New Dreams. Proches, mais pas clones. Pas plus ici que pour l’hommage à Syd Barrett du I Overdrive Trio sorti en 2008, Tocanne ne pratique le décalque.

Le ton est donné dès le premier titre, « Birthday Memorial », composé par le contrebassiste Michael Bates : une incantation répétée de la basse, ni majeure, ni mineure - un intervalle de quarte ascendante - mais lourde de colère. Un glas. La batterie entre, impaire, chaloupée, temps qui passe ; puis, avec les cuivres, la tonalité s’affirme : sol mineur, couleur du tourment.

Mais attention : ici comme dans la Freedom Now Suite de Roach et Lincoln, comme sur Ah-Hum de Charles Mingus, la colère n’est pas abattement mais résistance (Bruno Tocanne est aussi le fondateur du trio Résistances…) : elle est vitale, féconde, joyeuse même. Tout au long de l’album, les sonorités éclatantes, les unissons décalés, les tierces buissonnières, les commentaires narquois du trombone de Samuel Blaser - glissandos, effets de sourdines -, le fil tendu à l’extrême par la batterie, la contrebasse dévalant les pentes à tombeau ouvert - running bass et non walking -, tout cela est certes très fâché, mais vivant au-delà de toute expression. Vital.

« Shape », de Rémi Gaudillat, morceau tumultueux, menaçant et jouissif, est un autre point culminant. Une contrebasse qui geint et gronde sous l’archet, le feu roulant de Bruno Tocanne, l’hymne énoncé par les deux cuivres et souligné par l’archet de Michael Bates qui s’élance en un court solo dans les profondeurs des graves avant d’être rejoint par les soufflants pour un ultime bouquet de sons : un titre comme une barricade, comme un poing levé.

Un moment de retenue au centre de l’album : « Alicante », plus élégiaque, mais dépourvu de tout attendrissement factice ; des improvisations généreuses à deux, trois ou quatre (« Waiting for… », « Le singulier au pluriel », « Le présent du vindicatif ») ; des bribes de jazz presque classique (« Interlude 1 ») ou soul (« Voodoo ») ; tout cela donne un album cohérent et frondeur qui n’a pas à rougir de la comparaison avec les grands anciens cités plus haut. « 4 New Dreams », quartet transatlantique, ne mâche pas ses mots. En ces temps de révoltes salutaires, qui s’en plaindrait ?