Chronique

Cécile Broché & Etienne Boyer Duo

Soundscapes

Cécile Broché (vln, voc), Etienne Boyer (ss, ts), Chris Joris (perc)

Label / Distribution : Igloo

Qu’ont à raconter deux voyageurs dont les chemins se croisent ? Des souvenirs de sourires, des odeurs de paysages, des rumeurs de villes ?
C’est un peu ce que Cécile Broché et Etienne Bouyer ont gravé sur Soundscapes, un album en forme de carnet de voyage.

La violoniste belge et le saxophoniste français se sont rencontrés aux alentours de 2004. Chacun avait déjà voyagé aux quatre coins de la planète. Pendant que l’une se partageait entre l’Europe et les Etats-Unis aux côtés de Barre Philips, Garrett List ou Diederik Wissels, pour des spectacles de danse, de théâtre et de jazz, l’autre explorait l’Afrique du Nord, la France et les États-Unis à la rencontre de Charlie Haden, Sam Newsom, François Jeanneau, Eric Barret ou encore Dave Liebman.
Ils ont travaillé ensemble sporadiquement, sans réelles arrière-pensées, puis un répertoire a peu à peu vu le jour. Et ce qu’on remarque dès les premiers accords, c’est l’unité de son, le dosage parfait entre soprano et violon électrique. Soit ils provoquent des ambiances étonnantes en jouant à l’unisson, soit ils misent sur les contrepoints pour faire naître un dialogue fascinant. Quand l’un crie, l’autre le rassure. Quand l’un susurre, l’autre l’écoute. Et quand l’un est joyeux, l’autre l’accompagne.

Même si elle est parfois complexe, leur musique est très évocatrice : elle nous fait voyager au travers des paysages réels ou imaginaires. Le duo déploie ainsi une jolie collection de quinze tableaux, croquis ou de clichés, c’est selon. Certains morceaux, comme « Septilune », « Shqipëria » ou le magnifique « Plage blanche » et son motif ressassé à l’infini, sont d’une intensité dramatique remarquable. De même, « Jezerca », poignant et obsédant, est une longue montée en intensité. Cécile Broché tire alors de son violon des sons improbables qui vont de la stridence au moelleux. Entre les duettistes, la musique s’emmêle, tantôt venimeuse, tantôt amoureuse. Les musiciens juxtaposent les dissonances et les moments d’apaisement, croisent les effets au violon (wah-wah, distorsion etc…) avec le souffle chaud du ténor ou du soprano... mais ne se laissent jamais enfermer dans une formule ; et chaque thème est une nouvelle expérience. On se perd sur les chemins peu balisés d’une mégapole (« The Town ») ou bien on se rit des embouteillages de l’ « E 411 ». Broché y va de son pizzicato moqueur tandis que Bouyer flotte au-dessus des riffs et relativise nos petits soucis quotidiens. Plus loin, on frôlera le rock psychédélique à la Hendrix sur « Kônnyu Darab n°5 ». Bref, on ne s’ennuie pas une minute...
Chris Joris, qui vient faire une apparition sur quelques titres, nuance ce voyage de couleurs africaines. Le mélange est étonnant sur un très contemporain et presque abstrait « Peut-être », mais se fait plus accessible sur le souriant « Isi Bop ».
Après ce recueil de témoignages très personnels, Broché et Bouyer revisitent le « Lonely Woman » d’Ornette Coleman de façon brève et déchirante, puis saluent Duke Ellington par un « In A Sentimental Mood » dépouillé et touchant.

Les deux globe-trotter arrivent à boucler de manière passionnante un parcours de prime abord chaotique et décousu jouant la carte d’un jazz contemporain qui fait fi des origines et des étiquettes. Un jazz du monde, avec ses angoisses et ses joies. Soundscape est un album marquant, comme devraient l’être tous les voyages. Embarquement immédiat...