
Le parcours de Christian Laurella est riche et varié : batteur, tour manager, écrivain. Ces diverses activités se nourrissent mutuellement, ce qui aboutit à la parution de ce livre de mémoires intitulé Détours, publié aux éditions Lenka Lente. Il s’agit en fait de la réédition de Tournée générale, ouvrage paru en 2007 aux éditions du Layeur.
Je connais personnellement Christian pour avoir joué avec lui à de nombreuses reprises. J’avais lu Tournée générale à sa sortie. C’est avec plaisir que je me suis plongé de nouveau dans les nombreuses anecdotes, issues de son expérience d’une dizaine d’années en tant que tour manager dans les années 1980 et 1990.
Le premier intérêt de ce livre est constitué par l’immersion dans les coulisses de tournées en Europe. On se situe ici dans ce que le sociologue Howard Becker décrit dans son livre Les Mondes de l’art [1], c’est-à-dire l’ensemble des personnes impliquées dans la réalisation d’une performance artistique. Détours montre très bien comment de multiples compétences doivent être réunies pour permettre à un artiste de se produire dans de bonnes conditions devant un public réuni pour venir l’écouter. On pense ici à la logistique (transports, nourriture, hébergement) et à la diffusion (production, technique). Le rôle du tour manager est parfaitement décrit par Laurella : il s’agit d’être le chef d’orchestre de cette mécanique complexe.
Le livre fourmille de situations rendues difficiles par des obstacles (humains, matériels) devant être gérés dans l’urgence. Détours montre également que le jazz est un milieu professionnel comme les autres, avec des enjeux financiers, des rapports de force, des questions d’ego, etc.
Le deuxième intérêt de ce livre est de nous replonger dans une période du jazz passionnante et souvent occultée de nos jours. Dans la seconde partie des années 1980, des musiciens historiques sont encore très actifs : Dizzy Gillespie, Chet Baker, Stan Getz, etc. On y croise également la trajectoire fulgurante de Jaco Pastorius. C’est une sorte de chant du cygne pour ces acteurs majeurs de l’histoire du jazz. Le début des années 1990 marque l’avènement d’une nouvelle génération de musiciens : James Carter, Craig Taborn par exemple. Le livre est également l’occasion de (re)découvrir une scène jazz européenne de l’époque : festival, clubs, échanges entre musiciens français et états-uniens.
Enfin, le troisième intérêt du livre réside dans le soin porté à cette réédition par les éditions Lenka Lente. Une iconographie riche et soignée vient agrémenter la lecture de cet ouvrage, ce qui apporte un plus très appréciable (Tournée générale ne comprenait en effet aucune photo).
Détours est un livre que je recommande pour les informations qu’il contient, le style fluide dans lequel il est écrit, et l’angle très particulier avec lequel il aborde cette tranche d’histoire du jazz en Europe.