Scènes

Jazzycolors, haut en couleur

Le festival Jazzycolors s’est tenu à Paris entre le 7 novembre et le 9 décembre.


Fondé en 2003, ce festival est organisé par le Forum des Instituts Culturels Étrangers à Paris (Ficep). Coïncidence, cette 22e édition regroupait 22 concerts répartis dans 17 lieux différents. Jazzycolors est l’occasion de découvrir une programmation diverse et très intéressante proposée par les centres culturels, mais également des lieux inhabituels pour écouter des concerts de jazz. La coordination de l’ensemble de ces événements est assurée avec une grande efficacité par Anna Zasada. Je n’ai pas pu assister à l’ensemble des concerts, mais ceux que j’ai vus m’ont permis de me rendre compte de la qualité des artistes invités.

Bojan Z © Elodie Tristant

Le concert d’ouverture du festival a été donné par Bojan Z, parrain du festival, dans le cadre du bel auditorium du Centre Culturel Coréen. Les excellentes conditions d’écoute ont permis de profiter pleinement du magnifique récital de Bojan en solo. Au cours de la soirée, il a alterné entre ses propres compositions, influencées entre autres par le folklore bulgare ou le maloya et des thèmes d’autres pianistes : Herbie Hancock (« Textures »), Jimmy Rowles (« The Peacocks »), Thelonious Monk (« Crepuscule With Nellie »), Duke Ellington (« Purple Gazelle »). Ce dialogue entre l’univers de Bojan et celui de ces pianistes, parfois au sein du même morceau (comme pour le thème de Monk, enchâssé dans une de ses compositions), a montré comment on pouvait rester complètement soi-même tout en conversant avec ses illustres prédécesseurs. De plus, on a pu entendre d’autres pianistes convoqués par Bojan au détour d’une improvisation : Keith Jarrett sur un ostinato ou encore Lennie Tristano sur une séquence harmonique très dense, pour n’en citer que deux.
Le seul thème d’un autre instrumentiste fut « Valse Hot » de Sonny Rollins. Le répertoire de ce concert était en partie issu du disque de Bojan en solo, As Is, enregistré en 2021 et paru en 2023. Le public était conquis par ce set de huit morceaux. Le festival Jazzycolors ne pouvait mieux commencer.

Sue Rynhart trio © Cyrille Clément

Autre lieu, autre ambiance lors du concert de la chanteuse Sue Rynhart au Sunside, pour un concert proposé par le Centre Culturel Irlandais. Accompagnée par le pianiste Huw Warren et le contrebassiste Dan Bodwell, la chanteuse d’origine irlandaise présentait un répertoire largement issu de son dernier disque Say Pluto. Les compositions originales comprennent une dimension narrative importante, expliquée avant chaque chanson. Elles sont caractérisées par une ambiance modale et une proportion importante de métriques en 3/4 et 6/8. Tout ceci s’inscrit naturellement dans une inspiration folklorique irlandaise. Sue Rynhart possède une technique vocale accomplie, très bien mise en valeur par l’accompagnement inspiré de Huw Warren, pianiste gallois avec une longue carrière de musicien et de pédagogue. Son travail de réharmonisation des mélodies traditionnelles montre une grande maîtrise des langages harmoniques contemporains. Le traitement du timbre du piano préparé, allant parfois jusqu’à imiter le son d’une mandoline, participe pleinement à la cohérence du projet. Les improvisations d’Huw Warren ont assurément constitué les moments les plus intenses de ce concert.

Coquelicot © Cyrille Clément

Jazzycolors était de retour au Sunside pour un concert proposé cette fois par le Centre Culturel Portugais. Coquelicot est un jeune groupe parisien, dont quelques membres sont ou ont été élèves des conservatoires parisiens. J’en connais donc certains qui ont suivi mes cours, mais je découvrais ce soir-là leur projet. Le groupe est composé de Jessica Simon au trombone, Killian Rol aux claviers, Alexandra Comnos à la basse, Louis Chantraine à la batterie et Zephania Lascony au saxophone ténor. Devant une salle comble et largement acquise à sa cause, le quintet a délivré un set très convaincant, avec un répertoire constitué de compositions et d’arrangements écrits par la tromboniste et le pianiste. Les improvisations étaient assurées par les deux soufflants Zephania Lascony et Jessica Simon, que l’on a entendus dans différents projets de l’Orchestre National de Jazz. Les rythmiques binaires et l’instrumentation indiquent des influences issues du jazz fusion. Nul doute que ce quintet, dont c’était seulement le deuxième concert, va poursuivre son chemin avec enthousiasme. On peut féliciter Jazzycolors de programmer des groupes émergents et leur donner ainsi une visibilité bien largement méritée.

Leszek Mozdzer © Elodie Tristant

Changement de cadre pour le concert de clôture qui se déroulait dans les ors de l’ambassade de la République de Pologne. Dans un jeu de miroirs avec le concert d’ouverture, le festival s’achevait avec un récital en solo du pianiste polonais Leszek Możdżer, qui mène une brillante carrière internationale comme sideman et comme leader. Ce concert, proposé par l’Institut Polonais, a été également l’occasion d’un dialogue entre des références pianistiques. Cette fois, ce sont Frédéric Chopin et Jean-Michel Jarre qui ont été tour à tour convoqués, entre des compositions de Leszek Możdżer. Ce dernier, doté d’une technique flamboyante et largement mise en valeur durant la soirée, s’est livré à des jeux très intéressants et complexes avec un métronome, illustrant de subtils décalages rythmiques. On peut noter le travail de médiation auprès de l’assistance réalisé par le pianiste, qui a détaillé ses processus de création. Le répertoire et les improvisations étaient d’une grande intensité ; le public présent, ravi, a rappelé le pianiste à trois reprises. Belle façon de conclure un festival très réussi, mon seul regret étant de ne pas avoir pu assister à davantage de concerts.