Chronique

Christophe Pays

Ellipse

Christophe Pays : gt ; Guillaume Hazebrouck : p & p préparé ; Line Moullier : cello & voc ; Olivier Thémines : cl, cl b.

Bigre : une citation de Hamlet en ouverture ! En anglais dans le texte. Histoire d’annoncer la couleur et le premier titre : « The Rest is Silence » [1]. Ce pourrait être prétentieux, et pourtant la pièce est d’une beauté dépouillée, sans effets ni racolage.

Le premier morceau est une sorte de microcosme de l’album : on y retrouve les principaux ingrédients des six autres titres. Bonne raison pour s’y attarder un peu... Après une introduction très douce et presque planante, une première séquence harmonique est énoncée au piano. Des variations au piano et à la clarinette basse soulignent la lecture du texte shakespearien, la guitare entre et improvise, feutrée mais limpide. Le violoncelle souligne le thème harmonique comme le ferait une contrebasse, et la mélodie survient, jouée à l’unisson par la clarinette et la guitare. Arpégée au piano et au violoncelle, la même suite harmonique sous-tend les improvisations, encadrées par l’énoncé du thème. Tout est suave et mauve ; soudain surgit un motif répétitif au piano, un second thème au violoncelle et au piano, râpeux et plus nerveux, fermement planté dans les graves ; nouvel unisson clarinette–guitare, et tout cela finit brusquement par un rappel du premier motif.

Beaucoup de ces traits distinctifs se retrouvent dans les titres suivants : compositions en plusieurs volets, atmosphères brumeuses et changeantes, ciselure des métriques et des mélodies, variations sur un thème... L’ensemble de l’album met en évidence une extrême attention portée aux timbres et aux sonorités : la musique de Christophe Pays est soyeuse et chatoyante, tous les instruments - y compris la voix de Line Moullier - ont une superbe texture sonore, riche en harmoniques, des résonances profondes et généreuses. Le parti pris d’employer fréquemment les instruments deux à deux à l’unisson (guitare–clarinette et piano–violoncelle) est judicieux ; sur « Raga Tikka Masala », le piano préparé évoque un sitar qui aurait fauté avec un cymbalum ; la guitare, très jazz dans l’ensemble, prend parfois des accents presque folk (« Maria e Mario ») et reste toujours limpide dans l’articulation.

Christophe Pays a d’évidentes qualités de mélodiste. Ses formes, qui doivent beaucoup à l’influence des minimalistes et d’une partie de l’écurie ECM (on pense parfois à Jan Garbarek), sont élaborées et ingénieuses. Guitariste au son souple et délié, il s’entoure de musiciens de qualité qui servent totalement son propos. La prise de son (au Pannonica de Nantes en 2006) et la production sont plus que soignées. Un beau disque, agréable, qui pourrait même être un grand disque... à quelques détails près. Des formes et des ambiances trop semblables, peut-être. Des pièces qui finissent en queue de poisson ; des joliesses qui frisent par instants le maniérisme. Des improvisations trop sages, surtout. Mais l’album recèle assez de belles choses pour mériter qu’on lui accorde un moment de sa vie... et qu’un label s’intéresse aux prochains projets de ce compositeur nantais.

par Diane Gastellu // Publié le 28 août 2008
P.-S. :


Le CD est disponible à la vente ou au téléchargement sur le site de Christophe Pays.
Il est également possible de télécharger des extraits de concerts.

[1une phrase qui a inspiré bien d’autres oeuvres musicales, tel le « Silence » de John Greaves, dont la première version date des années soixante-dix ou l’album de David Chevallier avec Elise Caron en 2005