Scènes

Chroniques stambouliotes 2 : le Spiral Quartet

C’est à Istanbul qu’a eu lieu le concert de sortie du nouveau disque du Spiral Quartet.


C’est à Istanbul qu’a eu lieu le concert de sortie du nouveau disque du Spiral Quartet. Trois ans après Kaléidoscope, voici une nouvelle lecture, en forme de voyage, de la musique turque par Philippe Poussard : Diyar Diyar Jazz - Turkish Journey.

L’Istanbul Jazz Festival s’offre une ouverture en fanfare le premier samedi du mois de juillet : tout le quartier du Tünel, dans la partie européenne de la ville, accueille des concerts depuis le début de l’après-midi jusque tard dans la nuit. La « Tünel Feast » ne rassemble pas moins de vingt-huit concerts de tous horizons. Sur la scène principale, l’Istanbul Kolektif électrise la foule via un mélange de sons traditionnels anatoliens, de funk et de ska. Ailleurs, sur les placettes, dans les cafés et dans les rues, des musiciens du cru : le percussionniste Okay Temiz donne une performance sur la place de la Tour Galata, tandis que des groupes tels que le Ece Göksu Quartet ou le Eren Noyan Quartet reprennent des standards. Plus loin, le quintet de Sanam Kalfa mêle tradition turque et sonorités jazz. Les étrangers sont aussi représentés, avec les Américains du East Park Reggae Collective, les Africains de Mdungu, les Canadiens du Souljazz Orchestra ou encore les Français du Spiral Quartet.

Pour ces derniers, l’occasion marque également la sortie d’un nouveau disque, Diyar Diyar Jazz - Turkish Journey sur le label turc AK Müzik, trois ans après Kaléidoscope, dont Citizen Jazz s’était à l’époque fait l’écho. Dans la petite salle climatisée du Nardis Jazz Club, une foule assez jeune et élégante se presse pour écouter le premier des deux concerts de la soirée. Assise aux tables devant la scène, debout un verre à la main près du bar ou massée sur la mezzanine, l’assistance, survoltée à l’extérieur, retrouve un calme (relatif), conforme à l’étiquette du lieu : « Prière de garder le silence pendant les concerts, merci. » En turc et en anglais, la consigne figure sur toutes les tables. Elle ne concerne cependant pas les auditeurs du Spiral Quartet, qui observent un silence naturellement induit par la finesse de la musique.

Anglais, français, turc : la pochette du disque reflète l’identité multiculturelle des sons qu’elle renferme. Pour Philippe Poussard (saxophone soprano, flûte alto/soprano saksofon, alto flüt), Bruno Angelini (piano/piyano), François-Charles Delacoudre (contrebasse/kontrbas) et Christian Lété (batterie/davul), il s’agit d’intégrer des morceaux traditionnels turcs à leur répertoire sans tomber dans l’imitation. « Ç’aurait été ridicule ! », s’exclame Poussard à la fin du concert. Ce dernier, leader de la formation, marie dans son jeu sonorités orientales et improvisations auxquelles nos oreilles occidentales sont plus habituées. Qu’il s’agisse de traditionnels, telle l’ancienne chanson stambouliote « Üsküdar’a Gideriken », qui évoque un des quartiers de la rive asiatique (Üsküdar), ou de compositions « İstanbul’da Sabah » (le matin à Istanbul), l’objet reste le même : jeter un pont entre le Bosphore et la Seine.

Philippe Poussard © H. Collon/Objectif Jazz

Le Spiral Quartet voyage sur toutes les terres du pays. De la Tour Galata - incarnée par un solo de contrebasse (« Galata ») en forme de rêverie -, on s’en va danser à Rize, au bord de la mer Noire, avec « Çayeli’nden Öteye », avant de traverser Kayseri, en Anatolie centrale, Izmir sur la côte égéenne, ou encore Antalya, au sud de la Turquie. Parfois l’interprétation se nourrit de la vie quotidienne : l’appel à la prière, le vent, l’agitation des rues… Ailleurs, ce sont plutôt des relectures personnelles de la culture turque : « Bozlak Blues » s’inspire des uzun hava, longs chants mélancoliques accompagnés au saz et dont les bozlak, originaires d’Anatolie centrale, sont une forme. Le rôle du chanteur est ici tenu par le saxophone et celui du saz par Delacoudre qui, en lui donnant une réplique pizzicato, tisse un magnifique dialogue entrelacé. Tout de suite après, « Aman Adanalı » ou « Oh Adana » (la ville d’où la chanson est originaire), déclaration amoureuse sur le mode humoristique, est transformée en bal par un Spiral Quartet joyeux et décalé.

L’accueil du public est très chaleureux : quand ils ne sourient pas en reconnaissant un air les spectateurs dodelinent ou remuent les pieds, regrettant presque de ne pouvoir danser. Chaque village, chaque paysage, chaque histoire est visitée avec avec respect et imagination. Pourquoi la Turquie ? La réponse est dans le rappel, « Jale’s Song », dédicacé à l’épouse turque de Poussard. Rappel qui, là où le concert naviguait plutôt en eaux calmes, révèle la facette plus dissonante de ce très coltranien saxophoniste à travers un beau solo furieux et engagé.