Chronique

[DVD] Henri Texier

Strada Sextet

Label / Distribution : Artofilm

En 1998 Henri Texier avait fait l’objet d’un reportage réalisé par Jean-Marc Birraux. Passionnant, il était centré sur le musicien. Alexandra Gonin et Fabrice Radenac, eux, ont porté leur attention vers la musique du Strada Sextet et plus particulièrement sur son dernier album : Alerte à l’eau.

Les réalisateurs ont adopté le parti-pris de la simplicité : ils s’effacent derrière la caméra et le micro, sans jamais intervenir. Cette approche, qui fait la part belle à la musique, donne un film vivant, et les cinquante-cinq minutes défilent à toute allure.

Gonin et Radenac ont conçu leur documentaire autour du chiffre trois… Le film se découpe donc en trois parties articulées autour de trois morceaux : « Afrique à l’eau / Ô Africa », « Valse à l’eau » et « Reggae d’eau ». Chaque morceau est abordé sous trois angles : des extraits de répétitions, des commentaires et une conclusion, constituée de l’intégrale du morceau. A ces trois angles correspondent trois manières de filmer : images naturelles avec les musiciens en pied pour les répétitions, gros-plans fixes « à la photomaton » pour les entretiens, et montage soigné d’images élégantes pour les concerts. Enfin, chaque angle a son lieu : studio (Gil Evans d’Amiens et Avant-Scène à Paris) ou club (Sunset) pour les répétitions, fond neutre ou voiture pour les entretiens, et salles de concert (Maison de la Radio pendant l’émission « Jazz sur le vif » et Théâtre Victor-Hugo de Bagneux) pour les conclusions.

Si Texier reste au centre du documentaire, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Christophe Marguet s’attache aux interactions entre musiciens, d’autant plus cruciales pour le batteur que les percussions sont un élément fondamental de la musique de Texier et que les trois morceaux tournent autour de rythmes différents : jazz, rock, valse et reggae. François Corneloup, « libre joueur » comme Texier, évoque le processus de la création musicale au sein du groupe et compare la musique du Strada Sextet à un film avec scènes, scénarios, chapitres etc. Guéorgui Kornazov, Manu Codjia et Sébastien Texier évoquent le rôle et les apports des uns et des autres dans l’orchestre. Quant à Philippe Teissier du Cros, il souligne que les séances d’enregistrement les plus proches de l’esprit du jazz sont celles qui se passent en groupe, et assez rapidement, à l’inverse du rock ou de la pop, par exemple. [1]

Quand la parole lui est donnée, le « vieux barde » explique sa démarche avec beaucoup d’humilité et de clairvoyance : « J’écris sur du papier des notes, des trucs que j’imagine, mais je sais déjà que ce sera pas exactement comme ça à l’arrivée ». Autrement dit, Texier note la musique, mais ne l’écrit pas. Sans doute est-ce une des différences entre « musique classique » et « musique jazz » ? Il insiste également sur l’importance de la matière sonore. Bien sûr, les musiciens travaillent sur les partitions avant les répétitions, mais le bouquet de sonorités ne s’épanouit que pendant les répétitions. D’ailleurs Texier confirme qu’il choisit ses musiciens plutôt pour leur âme musicale et leur capacité à pétrir la matière sonore que por leur instrument.

Texier revendique avec conviction son engagement écologiste et tiers-mondiste. « Afrique à l’eau / ô Africa… » représente d’abord la plongée de l’Afrique dans le chaos, puis, sur un rythme rock, l’Afrique qui résiste tant bien que mal. « Valse à l’eau » décrit le paradis perdu : l’époque où l’on pouvait encore boire l’eau des rivières dans le creux de ses mains, comme le dit le contrebassiste. La tristesse et la nostalgie que dégage ce morceau sont accentuées par le motif en ostinato du baryton, qui prend le rôle de la basse. Dans « Reggae d’eau », l’idée de l’artiste est de métisser deux musiques qui se sont développées sur « l’histoire et la dignité », l’une très codifiée et pleine de clichés, le reggae, et l’autre plus libre, le jazz. Dans sa vision de la « musique ethnique », Texier insiste : il faut « faire en sorte que le déroulement du morceau donne l’impression que c’est une musique complètement inscrite dans la vie quotidienne ». En bonus, les spectateurs pourront écouter quatre morceaux filmés en concert : « Sacrifice », « Le solo du clown », « S.O.S. Mir » et « Sacrifice d’eau ».

Bien construit, instructif et vivant, le film de Gonin et Radenac est d’autant plus recommandable que la musique du Strada Sextet ravira toutes les oreilles — de l’amateur chevronné au néophyte curieux…

par Bob Hatteau // Publié le 28 avril 2008

[1Relevons au passage la qualité de la bande son du film.