Tribune

Des traits de piano pyrotechniques

Paul Lay se souvient d’avoir travaillé les compositions de Martial Solal pour grand orchestre.


Encore élève au Conservatoire national de musique, le pianiste Paul Lay a eu l’occasion de travailler les partitions écrites par Martial Solal. Des compositions orchestrales que les étudiants travaillaient en vu d’un concert.
Pour ce dossier spécial, Paul Lay livre son souvenir de ce concert et de sa préparation.

Paul Lay, en 2011

J’ai eu l’occasion de rencontrer Martial Solal à l’âge de 18 ans lors de ma première année au conservatoire de Paris. Le big band du CNSM était programmé à la Cité de la Musique pour jouer un ensemble de pièces que Martial avait écrit pour son Dodécaband.
Quelques semaines avant ce concert, François Théberge - qui dirigeait le big band - nous donne les partitions. En ce qui concerne le piano, il me tend un classeur… d’une centaine de pages !
Je savais que Martial fixait avec une grande précision certaines des parties instrumentales qu’il voulait entendre. J’en ai bien eu la preuve !

Évidemment les deux mains étaient mobilisées de manière égale ; dans chaque pièce figuraient de nombreux traits de piano pyrotechniques qu’il fallait jouer avec le caractère, le swing et le son. C’est du jazz, mais pas d’esbroufe possible ici. J’ai adoré travailler ce répertoire. J’ai beaucoup appris.
Notamment de jongler entre les deux parties du cerveau (mêler le rationnel au créatif) : après les séquences très écrites, notamment la réalisation de ces traits musicaux, s’enchaînaient des passages d’improvisation plutôt libre, où notre créativité pouvait se déployer ; et hop !, en un éclair on repartait dans le texte très exigeant.

Il se réinvente à chaque fois

J’ai travaillé d’arrache-pied pour ce répertoire et lors de la première répétition, tout le monde était très concentré, Martial s’est assis à 50 cm de moi - je n’en menais pas large - et à la fin du premier morceau il m’a dit : « C’est bien, vous avez travaillé. »
Je me suis détendu, il m’avait mis en confiance et cela a été une expérience très exaltante de jouer ce répertoire à la Cité de la Musique !

Ce qui me frappe chez lui, à chaque fois que je l’entends, notamment en piano solo, c’est son son et son style (au bout de la première seconde, on sait que c’est lui - c’est la marque des grands, incontestablement) puis c’est cette fraîcheur, cette imagination et créativité exceptionnelles. Il se réinvente à chaque fois et, par-dessus tout, c’est son attitude qui m’inspire : je vois toujours un (grand) enfant qui découvre un nouveau jouet.

Quelques mois après ce concert à la Cité de la Musique, je l’appelle pour convenir d’un cours particulier chez lui. Je compose le numéro, il décroche, je me présente au bout du fil et…
je me souviendrai toujours de sa première phrase :
« Alors Paul, vous progressez ? »

par // Publié le 8 novembre 2020