Chronique

Paul Lay

Deep Rivers

Paul Lay (p), Isabel Sörling (voc), Simon Tailleu (cb) + guests : Donald Kontomanou (d), Bastien Ballaz (tb), Quentin Ghomari (tp), Benjamin Dousteyssier (bs)

Label / Distribution : Laborie Jazz

La formule est certes très convenue. Il n’en reste pas moins que Deep Rivers est une perle, un disque merveilleux, délicieux, exquis. Un album pour lequel il faut convoquer les qualificatifs les plus élogieux et qu’on rangerait sur l’étagère des plus beaux ravissements - si tant est qu’il fallait ranger ce disque sur une étagère.

A l’origine, une commande pour commémorer le centième anniversaire du premier concert de jazz en France, commande passée par Matthieu Jouan, « chef chef » de Citizen Jazz par ailleurs [1].

Pour la petite et la grande histoires, ce sont des soldats américains débarqués à Nantes en février 1918 qui donnèrent les premières notes de jazz sur le sol français et, cent ans plus tard, Paul Lay, en trio avec Simon Tailleu et l’incroyablissime Isabel Sörling, a monté un répertoire fait de chansons américaines de la fin du XIXe et du début du XXe siècle - à l’exception de « Go to Hell », écrite par Nina Simone.
Des chansons donc.
Mais surtout celles-là même qu’entendaient ces soldats musiciens. Bien entendu il s’agit de guerre et plus généralement de la chose militaire ; en témoigne, parmi d’autres, « Rebel Soldiers », un traditionnel repris maintes et maintes fois dans l’histoire de la folk américaine et auquel le trio donne un touche poignante, si ce n’est déchirante.

On pourrait dire que tout est dans la voix et la diction d’Isabel Sörling. Elle couvre avec la même puissance la folk, le jazz et même le gospel. On pourrait donc convoquer son incroyable maîtrise et un pouvoir d’évocation aussi magique que fascinant. On aurait raison et tort à la fois. Raison car sa prestation est bluffante. Elle incarne avec l’allure des plus grands chacun des morceaux dont on devine, précisément car elle les modèle avec une éloquence rare, des histoires tragiques et graves.
On aurait tort car ni Simon Tailleu, ni Paul Lay ne sont des faire-valoir et leurs jeux ne s’arrêtent pas à des instrumentaux d’époque (dont « Maple Leaf Rag », ce morceau de ragtime de Scott Joplin qui résume à lui seul le genre).

Parmi les quatorze pistes, trois sont des compositions de Lay pour lesquelles sont convoqués Donald Kontomanou, Bastien Ballaz, Quentin Ghomari et Benjamin Dousteyssier, tandis que « To Germany » est un poème de C. H. Sorley pour lequel le pianiste a écrit la musique.
L’album se clôt avec « Blues » que précède « Battle of the Republic », chant des fédérés durant la guerre de Sécession et hymne à John Brown, figure emblématique des abolitionnistes.
Que dire d’autre sinon que l’interprétation, à l’instar de la totalité de cet album, est sublime et qu’on reste bouche bée devant tant de splendeur et de magnificence.

par Gilles Gaujarengues // Publié le 2 février 2020
P.-S. :

[1Mais par pitié ne voyez pas dans cette chronique dithyrambique ne serait-ce qu’une once de condescendance envers le patron !